Au premier abord, on pourrait se demander quelle drôle de mouche a piqué le Bergen Big Band, respectable orchestre Norvégien de Jazz de se lancer dans une visitation de Coltrane, et pas le moindre, puisque c'est "Meditations", le disque le plus dur de Coltrane, en essayant de le  traduire dans un style plus abordable, plus compassé... Et pour celui qui ne goute pas à ce genre d'expérience, plus audible.
Meditations, c'est le disque du maitre le plus radical, fait de bruit et de fureur, d'improvisation féroce, de feu tribal décontenançant, de majesté dans le vacarme et de surenchère dans la virulence des phrasés. C'est cette idée de novembre 1966 d'utiliser deux musiciens supplémentaires au quartet mythique (Pharaoh Sanders au sax et Rashied Ali aux drums) sur la gauche de la stéréo pour jouer le même thème, donnant cette impression de chaos qui ne tarde pas à s'apaiser, s'harmoniser, trouver cette paix intérieure que Coltrane en se colletant à son thème aura toujours cherché. Il y a des moments dans cet albums de pur poésie, comme cette ouverture ronde et profonde de Jimmy Garrisson à la contrebasse sur Love... Passionné par l'unité des choses et les forces telluriques d'une spiritualité du combat musical. C'est le propos des échanges entre Sanders et Cotrane sur des morceaux d'une très belle violence, comme "Consequences"
Coltrane avait déjà en 1966 enregistré "Meditations for Quartet" qui donnait une vision plus apaisée de ces morceaux, et qui laissait la part belle à ses sidemen : Mc Coy Tyner au piano plaquant ses accords avec cette rageuse délicatesse qui fait son son à part, ou les longs monologues de Garrisson.
Bergen Big Band accompagné du talentueux quartet Norvégien adepte de Jazz Modal "The Core" cherche une autre voie, en donnant aux compositions un tout autre aspect avec un travail -remarquable-  du multianchiste Vidar Johansen sur les arrangements de ces partitions complexes pour un grand orchestre plus traditionnel par essence.
Evidemment, on pense parfois à Africa/Brass, l'album en grande formation de Coltrane, mais Johansen qui ne joue pas mais conduit sur cet album sait s'en départir sans soucis, allant même parfois jusqu'à prendre des libertés, faisant jouer certains soli de Coltrane himself par une trompette bouchée,   et se servant, de toutes les ressources de son ensemble de 19 pièces. ce qui est mis en avant, ce sont les taffetas soyeux des arrangements, mais ce qui ressort avant tout, c'est la complexité du propos même de Coltrane qu'il exprimait avec une spontanéité qu'on ne retrouve pas là, le propos étant plus à l'exercice de style. Cependant la bonne idée de The Core et du Big Band aura été d'enregistrer cela live, donnant un peu plus de pêche à ce qui aurait peut être été en studio de l'ordre de la prise de tête froide.
Il est bien évident que ce disque n'est pas à mettre dans les mains des plus puristes, preuve à ma grande surprise que je ne le suis pas tant que ça sur la question... Mais après le travail d'Otomo, c'est la deuxième fois en peu de temps qu'un tel projet arrive sur galette. On peut le prendre de manière pessimiste (on ne prend plus de risque, on recycle parce que les idées sont parties) en constatant une affadisation du propos de Coltrane, et si l'on cherche bien, c'est peut être une partie de la réponse.
On peut aussi le prendre différemment : comme un hommage vibrant à l'un des plus grands du dernier siècle en démontrant, enregistrement à l'appui l'universalité de son propos, la valeur de sa musique. L'Ordre des choses, finalement, vient toujours du chaos...

Et bien sur, une photo qui n'a rien à voir. Bayonne.