Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
Derniers commentaires
Newsletter
30 abonnés
Archives
21 octobre 2013

Samuel Blaser - A Mirror To Machaut

Remonter le temps pour y trouver de nouvelles pistes, Visiter la riche période médiévale pour affirmer son désir de modernité... Beaucoup s'y sont essayer avec des fortunes diverses. Partir vers l'arrière pour aller de l'avant, voici la démarche qui anime Consort In Motion, la formation que le tromboniste Samuel Blaser dirige en compagnie de musiciens américains vétérans dans un line-up qui fait rêver.
Lorsqu'il y a deux ans et demi nous chroniquions le premier album de la formation, CIM était un quartet qui plongeait dans la musique de la Renaissance Italienne , Monteverdi en tête pour en rêvéler la richesse. Ce fut le dernier enregistrement du regretté Paul Motian.
En deux ans, la disparition de Motian laisse encore un grand vide, mais la réputation de Blaser s'est conséquemment étoffé. Il y a eu bien sur les deux disques chez Hat-Hut avec Marc Ducret où l'on a pu apprécier à la maturité d'un instrumentiste qui n'a pas fini de nous étonner. Insatiable, Blaser continue sa progression, avec ce Mirror To Machaut où il démontre encore d'une grande sensibilité dans son timbre très sec. 
Dans ce disque paru chez les canadiens de Songlines, et produit par le pianiste Benoît Delbecq, Blaser s'empare de la musique de Guillaume de Machaut et de Guillaume Dufay pour livrer de nouvelles expériences. Le travail avec Delbecq, dont on connait la méticulosité, offre à Consort In Motion une grande clarté et une impression de fluidité entre chacun des solistes.
Comme pour le précédent album, il ne s'agit pas de jouer tel quel ce patrimoine ancien pour prouver quelconque rapprochement ou quelconque exotisme ; il s'agit de malaxer la musique des deux illustres compositeurs français pour en faire un matériel hors du temps qui soit définitivement habiter par un groupe attentif et aventureux. Il y a une continuité entre Machaut et Dufay, tant dans la musique sacrée que dans la musique profane. C'est le cas pour l'usage de l'Isorythmie et de la Polyphonie, deux axes avec lesquels Blaser s'amuse et brouille les pistes pour donner une lecture moderne à ces rafinnements vieux de 800 ans. Un morceau comme "Linea" où le trombone joue un ostinato qui se délite, vite remplacé par le piano fait de ces constructions très contrainte un vrai travail d'équibriste gonflé de Liberté.
De l'équipe du précédent disque, il ne reste que Russ Lossing, qui ajoute à son piano cristallin un Rhodes et un Wurlitzer. A la contrebasse, on retrouve Drew Gress qui était présent au début de l'aventure Consort In Motion avant de céder sa place sur le premier album. Motian a été remplacé par Gerry Hemingway, dans un style assez différent, plus metallique que son prédecesseur.
Quel quintet ! A côté de Blaser, on découvre le multianchiste belge Joachim Badenhorst qui ne vient pas seulement faire le nombre. Son jeu de clarinette basse sur "Douce dame Jolie" dans un duo profond avec la contrebasse est l'un des moments suspendu de ce disque.
Ce virelai de Machaut est l'un des rare que le groupe reprend presque tel quel, et il démontre de l'importance de ce soufflant qui a notamment travaillé avec Pascal Niggenkemper. C'est notamment sur son entente polyphonique, sa complicité avec le trombone qu'il fait merveille. Cet axe majeur est la clé d'un disque qui ne tombe jamais dans la démonstration. Cela se perçoit avec acuité sur les morceaux directement attribués à Machaut, comme "Dame se vous m'estes lointaine" et cette ouverture incroyable d'Hemingway qui lance une discussion entre soufflant. Entre deux époques. Entre deux discours, toujours d'une remarquable cohérence.
Depuis As The Sea, on sait l'importance que revêt le Miles électrique des années 70. La grande force de Mirror To Machaut, c'est de plonger les chants profanes et courtois de Machaut dans un bouillonnement où il n'y a ni anachronisme, ni barbarisme.
Dans un morceau comme "Color", pivot central d'une réflexion sur la musique à l'épreuve du temps, le Wurlitzer de Lossing, ronflement lointain dans le grognement de la clarinette, érodé par le trombone et les cymbales de ses comparses s'inscrit dans une relecture fiévreuse du Moyen-âge par l'éctricité. Un souffle fougueux étreint l'album.  Le miroir tendu à Machaut, il est dans ce frottement des musiques et le choc des époques. Dans ce joli décor, le musicien-poète doit trouver qu'il a de beau reste.
Nous aussi.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir

65-Pont Rose

Commentaires