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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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28 septembre 2014

Henri Roger - Parce Que

La dimension physique de la musique est une donnée importante. Primordiale même.
Et quand bien même le répéter autant de fois que la salive le permettrait n'enlèverait rien à la tautologie entrain de se faire qu'il faudrait encore le répéter. Inlassablement. Il ne s'agit pas seulement de jazz, ou de musique improvisée, ou de n'importe quel masque qu'on voudra bien lui faire porter.
Il s'agit de tout ce que la musique compte de pans abrupts, ceux qui réservent des écorchures et des saignées à quiconque essaierait de venir les polir, les adoucir ou les lisser, fut-ce dans le sens du poil.
Henri Roger connaît bien ces versants accrocheurs, au piano le plus souvent, où à la guitare. Il y plante piolets et bivouacs depuis des décennies, et semble avoir depuis quelques années voué ses escapades à la rencontre, avec des bases rythmiques inextricables ou des batteurs sensibles.
En duo, en trio, et même en quartet, avec le violoncelliste Eric-Maria Couturier, Emilie Lesbros et Bruno Tocanne, qui accueille Henri sur son label Instant Music Records, pour un hommage au compositeur de cartoon Scot Bradley.
Oui, la musique de Roger a une dimension physique importante, qui s'étend à d'autre expressions d'apparence plus "solide" comme la peinture et la sculpture ; la musique de l'instant du pianiste est de celle qui évoque des mots synesthètes par leur sens même : couleur, masse, densité, relief, entremêlement.
C'est exactement le propos de Parce Que, un album qui s'inspire des peintures de Soulages, qui a donné au noir son statut de couleur vivante et vivace par son inlassable recherche de l'Outrenoir, à la suite du Noir Lumière de Matisse auquel François Corneloup rendit lui même hommage. Pour peu qu'on s'y laisse aller, qu'on se concentre sur la musique de ce disque d'un noir profond, on sentira dès les premières notes l'effet de profondeur qui nous saisit devant les peintures éclairées de nuit du peintre.
Pour accompagner Henri Roger, on retrouve les trois quart des musiciens qui le suivait dans les territoires chamarrés de When BipBip Sleep ; seule Emmanuelle Sommer, qu'on découvrait sur No Meat Inside remplace la voix d'Emilie Lesbros. Si l'on souhaitait l'image facile, on pourrait dire lapidairement que Parce Que est le double au noir de When BipBip Sleep.
Le premier cherchait la couleur, le contraste, les rebondissements, les volte-face ; Parce que est un sillon, un trait plus ou moins appuyé qui pénètre dans la masse orchestrale pour mieux en vérifier la profondeur inextricable : "Ratures Brunes" en est certainement le plus lumineux témoignage, avec cette clarinette de basse de Sommer qui tente de se frayer un passage dans le martellement des basses du piano de Roger et les à-plats d'Archet de Couturier. Il y a là encore de nombreux sentiments qui se mèlent, qui sont commun à la peinture et à cette musique : frictions et glissement, poudroiement et projection... On perçoit cet effet de marécage que décrit Soulages à propos de ces débuts dans l'utilisation du noir. Un mélange de quiétude profonde et de mouvements d'apparence désordonnés mais d'une grande cohérence.
Dès "Trace Ouate" qui ouvre l'album, on perçoit que le quartet s'organise autour de cette métaphore des bas-fonds avec une distribution très précise entre la masse de notes tenues (piano, violoncelle) et les grattements, les crissements, les excavations et les anfractuosités tracés par les balais et autres objets abrasifs (clarinette, batterie). Un mouvement qui peut évoluer, voire s'échanger comme dans "Griffures au fond" ou piano et batterie écorchent le sifflet rauque de la clarinette basse, mais l'idée que la masse collective des détails n'enlève en rien leur singularité est toujours là et est à bien des égards fascinante.
On plonge dans Parce Que avec la gourmandise de ceux qui prennent le temps de détailler la foultitude d'éléments que recelle l'apparente aridité. L'équation proposée par Henri Roger paraîtra alors bien évidente. Pourquoi ? 

Parce Que.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

09-Vals

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