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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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11 novembre 2014

L'élite est un cuistre

La semaine dernière, dans le beau théâtre du Rive Gauche, à St Etienne du Rouvray, près de Rouen -à moins que ce ne fut l'inverse-, occasion a été donné de voir une création autour des missives de poilus la Guerre de 14-18, écrite par la clarinettiste Catherine Delaunay, qu'on avait déjà vu travailler autour des poèmes de Malcolm Lowry dans un spectacle saisissant devenu disque. C'était un spectacle d'une grande finesse, où Debussy croisait Berg sous le toucher fascinant de la pianiste Sandrine le Grand et où le serpent baroque de Christophe Morisset se mêlait aux gestes précis et parfois brusques de Guillaume Séguron à la contrebasse. Parfois un peu ardu et abstrait...
Dans la salle, deux classes d'ados, en seconde sans-doute, venu des quartiers populaires environnants.
Méfiance préalable des rangs plus âgées, vite dissoute par une attention égale. A peine quelques gloussements lors d'une lettre à l'érotisme explicite. Il y avait du texte ici, bien sur, mais il servait la musique, chose rare, ou mieux, les deux se nourrissaient mutuellement, comme deux langages simultanés.
J'ai le souvenir de concerts dans cette salle, comme dans d'autres, de jazzeux furieux faisant danser les mamies sur des tourneries de guingois. J'ai des souvenirs d'enfants émerveillés devant une musique complexe, dissonnante, pas immédiatement facile, jamais lisse. 
Ca s'appelle une politique culturelle ouverte et prescriptrice qui ne prend pas les gens pour des imbéciles, conçue par des personnes cultivées qui ont suffisamment de recul pour comprendre que faire sortir l'usager de la culture de son carcan, c'est d'abord éviter de lui livrer du sur-mesure. C'est aussi se souvenir que la musique, comme la danse, la photo ou les arts plastiques sont des langages universels.
Ils peuvent toucher au delà de ceux qui en maîtrisent les codes, et peut être même d'autant mieux quand elle ne rentre dans aucune case, dans aucun effet de mode et qu'elle prend là, tout de suite, comme ça avec les tripes quiconque concède l'une des dernières valeurs non-marchande : la curiosité.
C'est en lisant le texte de Franck Bergerot sur le site de Jazz Magazine que tout ceci m'est revenu.
Il faut le lire, comme il faut lire le texte de Philippe Manoury à propos de la Philharmonie de Paris ; la musique instrumentale est attaquée de toute part parce que pas assez vendeuse, chiante, compliquée, sans accroche. Elle est surtout supplantée par des formats courts, qui laissent du temps disponible et s'évitent les constructions trop complexes. Elle est rejetée parce qu'elle ne procure pas forcément un arsenal immédiat de sentiments primaires. Pire, elle ne rentre pas dans la politique de l'offre par algorithmes parce qu'on ne sait pas trop où la mettre. En plus c'est trop long. Et puis il y a des instruments bizarres. Des fois avec des objets dedans.
Ca fait peur.
La suite est toute trouvée : elle est élitiste.
Elitiste ; le mot est lâché. L'opprobre n'est pas loin.
Elitiste : c'est à dire, dans leur tête, loin du peuple.
Le peuple : celui qui doit se suffire de la culture en batterie imposé par force normes algorithmique.
Enfin, c'est l'idée. Surtout quand le peuple, on ne sait pas trop ce que c'est.
Il y a souvent un côté amusant à imaginer la chose suivante : nous avons aux postes de décideurs des personnes qui ont fait des grandes écoles-de-l'entre-soi, où l'on parle économie comme d'autre se racontent leur dernier week-end en famille. Ils savent ce que c'est qu'un Warrant. Ils se rencontrent pour analyser sur des tableaux de bord abscons la meilleure façon d'accumuler des profits abyssaux qui n'auront aucune utilité sociale. 
Mais ils jugent qu'un morceau de musique orchestrale, parce que jouée devant cinquante personnes et diffusée pour permettre au plus grand nombre d'y avoir potentiellement accès est élitiste ; alors qu'eux même, l'élite, la vraie, n'y entend que dalle parce que formé dans un moule unique ou l'art doit générer du profit ou n'est pas.
La vraie élite est un cuistre, si l'on préfère. 
Et l'économie de l'attention, l'invention la plus flatte-couillon qui soit n'est là que pour formater une culture à la main du Marché. 

Il serait temps de s'en affranchir.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

13-Porte

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