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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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10 mars 2015

Luis Lopes Lisbon Berlin Trio - The Line

La pochette de The Line, le second album du Lisbon Berlin Trio ne laisse guère de doute quant au contenu. Le power trio du grand guitariste lusitanien Luis Lopes est une chevauchée dans des recoins sombres, peuplés d'esprits inquiétants et frappeurs. C'est tout le sens de ce corps suplicié qui tient encore le couteau avec lequel il s'est tranché le cou.
Au delà de cette limite, perdez toute espérance.
La mise en scène est morbide et inquiétante, mais elle évoque plus les photos montages des Surréalistes que les décollements sordides. Le propos suit cette tangeante
Une rodomontade, en quelque sorte. Une façon outrée d'exprimer un jusqu'au-boutisme de l'énergie qui meut cette puissante machine du jazz européen à laquelle le label Clean Feed est fidèle. Quelle équipe, il faut bien le dire !
Le guitariste lusitanien n'est plus à présenter dans ces pages... Le comparse habituel du saxophoniste Rodrigo Amado, que ce soit dans le trio de ce dernier ou dans le formidable Humanization Quartet est l'un des grands maîtres de l'électricité en Europe ; l'un dont la guitare est un générateur de son tout autant qu'un prolongement hexogène de la main. Le geste est précis et sec comme peut l'être celui de Julien Desprez, mais il ne défait jamais d'un blues acide, même sommaire, ce qu'on constate aisément sur un morceau comme "Vertigo".
Sur ce morceau, la guitare s'applique à asséner un ostinato très hendrixien suivi de près par la contrebasse de Robert Landfermann dont chaque corde claque comme une sentence.
Lisbon Berlin indique deux capitales, un seul axe, celui des cordes qui enjambent les nations. Une base, rythmique mais pas seulement, qui joue la cohésion et le coeur palpitant. Les deux allemands Landfermann et le batteur Christian Lillinger jouent ensemble depuis des années. On les retrouve avec Leimgruber par exemple, ou dans le Grund de Christian Lillinger, qui sortit il y a quelques années un disque, également chez Clean Feed.
Lillinger n'est pas un inconnu des lecteurs de Sun Ship. On retrouve notamment ce dernier avec Ronny Graupe ou le Vision 7 de Pascal Niggenkemper où il faisait montre d'une grande sensibilité qui se transforme ici en une attention de chaque instant.
The Line est un disque qui ne laisse pas un instant de répit. Il est bâti sur une construction faite de soudaines accélérations et de temps plus atones, où parfois seul un bourdonnement vient remplir l'atmosphère d'inquiétude. C'est tout le sens des deux "Dark Suite". Le premier album, plus coloré, portait uniquement leur nom. Il avait cette même capacité à sonder chaque sillon de la masse du silence, chaque repli ou pouvait se planquer un frottement ou un crissement pour en faire une musique de rupture, attentive et nerveuse.
Mais peut-être n'y avait-il pas cette capacité à se projeter en avant, cette rage sourde et intérieure qui irradie "Mother Snake", la longue pièce au centre de l'album. Cette pièce maîtresse qui s'insinue pour prendre toute la place, vorace.
Au centre, il y a cette bataille farouche entre les coups de boutoirs de la batterie et cette guitare qui se débat pendant qu'il semble que l'archet a le tranchant d'un couteau de céramique. Comme un serpent tueur, chaque mouvement est calculé et précis, chaque attaque fait mouche, toute tentative de fuite est une certitude de s'ankyloser encore plus par la dose de venin. Comme le serpent, les ondulations du trio sont délétères et fascinantes tout à la fois.
La mithridatisation scelle un sort qu'on imagine finalement enviable, avec ses couleurs tranchées et franches aux allures d'hallucination. Le flux est coloré, mais son environnement est sombre, c'est une certitude.
Car la forêt dans laquelle le trio cavale est noire, comme cette "Schwarzwald" où la contrebasse ronfle sous les coups d'archets pendant que les cordes exacerbées d'électricité de la guitare simulent une rupture à chaque mouvement, fut-il infinitésimal. Au delà de cette limite, il reste une espérance. Une lumière au bout d'un chaos savamment étudié.
La certitude que ce trio ne s'arrêtera pas en si bon chemin !

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

03-Crime-Scene

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