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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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13 octobre 2015

Rémi Gaudillat / Bruno Tocanne - Canto de Multitudes

Remi Gaudillat est un trompettiste que nous aimons particulièrement par ici. Depuis quelques années, il promène son timbre éclatant aux côtés du batteur Bruno Tocanne, notamment au sein de l'excellent Libre(s) Ensemble. Amateur de Lester Bowie, ce que nous avions eu l'occasion de noter dans son précédent album. Il a également toujours aimé agrémenter sa musique de la chaleur de la lutte, du combat, ce que trahit ses titres, empreint d'une culture ouvrière et/ou internationaliste.
Alors évidemment, le verbe. Cela devait arriver.
La Poésie. Il ne pouvait en être autrement.
C'est donc tout à fait naturellement que le trompettiste s'approprie en quintet les textes de Pablo Neruda dans un Canto de Multitudes qui –tuons tout de suite toute forme de suspens- est l'une des plus belle chose qui a été donné d'entendre cette année.
Parce que l'interprétation est en un équilibre parfait entre espoir et désespoir. Parce que les couleurs sont à la fois vive et sombre et souvent tout en même temps. Parce que dès que la clarinette basse d'Elodie Pasquier –qu'on a vu au sein du duo Orties- s'époumone de colère en soutien d'une trompette fière et conquérante au tout début de « Hymne » qui vous jette dans l'arène au milieu des combattants.
On se souvient que Tocanne et Gaudillat sont des amateurs de Carla Bley, à laquelle ils ont rendu hommage. Il y a dans cette puissance pleine de lyrisme quelque chose du Liberation Music Orchestra.
C'est beau et c'est notre musique.
Parce qu'aussi, et sans doute surtout les textes de Neruda sont tirés du Canto General, un recueil de texte d'exil qui fut l'un des ferments de l'arrivée au pouvoir de Salvador Allende, dont on connait la fin, qui fut aussi celle de Neruda.
Au chant, c'est la grande Lucia Recio qui se saisit de ces textes. C'est LA voix du Buenaventura Durruti de chez nato, soit pour moi l'entrée tête la première dans cette musique et son esthétique révolutionnaire (et elle a bossé avec le Grencsó Kollectiva, ce qui est important pour moi). Elle est ahurissante de justesse et de force, dans ses cris au milieu d'une trompette forte, enjouée, heureuse sur « le peuple victorieux » ou au contraire dans cette légèreté vaguement malsaine qui tutoie la mort sur le formidable « Mapocho » où la contrebasse de Bernard Santacruz fait encore des miracles, comme elle en faisait au cœur de Sonic Communion.
C'est un très bel orchestre qu'a réunit Gaudillat. Très complémentaire, revendiquant à la fois une vraie tradition d'un jazz libertaire et une écriture ciselée, très réfléchie.
Avec Santacruz, à la fois rythmicien incroyable et capable d'induire des climats profonds à l'archet, on se souvient que toute cette tribu est lyonnaise et que plane au dessus de ce disque la figure tutélaire de l'ARFI, avec qui Recio a souvent travaillé. Il y a une communion de lutte, évidente dans un morceau « Chant de retour » où les deux soufflants se croisent sur des trames de batterie et de contrebasse dense et tout à la fois aussi gonflé d'espoir qu'une marche (Danse et...). Dans le disque défile tout une cosmogonie de la Lutte, des luttes, qu'elles soient culturelles ou classistes (on cherchera une différence, quand bien même je la dénote), sans que rien ne soit plaqué.
On y revient. C'est beau et c'est notre musique.
Les textes forts de Neruda, sont fluides dans la bouche de Recio, qui ne les déclame pas, mais au contraire leur imprime un rythme qui éclaire le travail des improvisateurs. Le magnifique « Sur la place » permet de déplier les vers avec la morgue d'une mitraillette ; l'espace d'un instant, on croirait retrouver le timbre d'Elise Caron dans le Sade Songs d'Archimusic. La grande réussite du quartet, c'est de rendre tout naturel, de ne jamais surjouer cette déclaration d'amour à la Liberté qui trouve dans « En Friche » sa traduction Libertaire.
Le Petit Label de caen (on avait évoqué Verøna) accueille Cantos de Multitudes comme un cadeau. C'est réellement un des disques très important de l'année, avec des musiciens remarquables. On ne peut que vivement le conseiller.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

86-Pottoka

Commentaires
F
Je vais aller la lire de ce pas ;-)<br /> <br /> (ah, les privilèges...)
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D
Bien d'accord avec toi et je pense que ma chronique pour Citizen Jazz, écrite depuis quelque temps et prochainement publiée, dit grosso modo la même chose :-)
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