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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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20 avril 2016

Joëlle Léandre - No Comment

On va commencer cette chronique par une anecdote, une fois n'est pas coutume. Aussi parce qu'à l'heure où ces lignes seront publiés, le grand dossier sur Joëlle Léandre sera paru sur Citizen Jazz, ainsi que la chronique du présent disque par mon ami Nicolas Dhourlès, et que de fait, je n'aurai pas grand chose à ajouter. Et comme le dossier commun laisse large place à l'analyse, 
Enfin, si, je dis ça à chaque fois et je le fais quand même...
Bref, l'anecdote. En découvrant No Comment, paru sur le précieux label de Jean-Marc Foussat, Fou Records, je me suis rendu compte que j'avais passé la moitié de ma vie à écouter Joëlle Léandre. Le présent disque est une réédition d'un disque paru sur le label canadien Red Toucan dans la dernière moitié des années 90, une éternité pour la musique improvisée, et réécouter Léandre aux prémisses de ma rencontre de jeune adulte avec sa musique a quelque chose tout à la fois de troublant et de réconfortant.
On a bien vieilli.
Dans la vision que j'avais de la contrebassiste, pendant des années, Joëlle Léandre n'était que scène. Les disques sont venus plus tard ; ce n'est pas d'ailleurs complètement faux... Sur les plus de 150 disques, à peine un tiers seulement date d'avant 1996. C'est dire l'importance documentaire de No Comment, enregistré en deux endroits, en deux concerts, l'un en Italie et l'autre au Canada à neuf mois de différences et qui pourtant semble d'une traite, un concert entier où une idée est menée jusqu'à son terme dans une continuité.
Du "No Comment n°1", où l'archet se promène dans le sifflement des cordes tendues à l'extrême, jusqu'à la mélodie du silence qui orne "No Comment n°9", il y a toutes sortes de récifs, d'îles volcaniques et d'éclat. Des chocs de cordes qui semblent recevoir autant que des peaux de tambours et des infrabasses pleines, parfois heurtées mais toujours sur le fil, comme ce travail en profondeur qui signe l'intense "No Comment n°4", entre les pizzicati qui savent passer de la frappe lourde au plus léger pincement et cet archet qui sonde, qui perce, qui cherche à atteindre l'âme...
Qui y parvient, en plus, et qui y fait son nid, laissant la place à la voix, si belle, et à ces mots jetés, plus lunaires et moins entiers que dans la période récente. Mais tout aussi puissant et souvent drôles. C'est un aspect qu'on ne dit pas assez dans la musique de Joëlle : dans toutes la palettes de sentiment, la drôlerie n'est jamais loin.
Mais tout est suffisamment équilibré. Souvent les morceaux se répondent. A un moment de puissance, répond un apaisement tout aussi soudain. Des mélodies pleines, qui grattent jusqu'aux tréfonds mais attentives à chaque variation et qui paraissent légère malgré leur intensité.
Ce disque est rare aussi, car ses solos le sont. La contrebassiste aime le partage, l'échange, la confrontation. Elle est rarement seule sur scène, mais c'est là qu'elle se ressource, qu'elle en dit en sur elle-même. Qu'elle est la plus obstinée. Sans filtre et sans commentaires (justement...).
C'est fou comme le jeu de Léandre était physique, il y a 20 ans. Aujourd'hui, il est tout aussi total mais repose moins sur le corps-à-corps avec la contrebasse. Il y a dans la Joëlle du vingt-et-unième siècle quelque chose de plus serein. Pas un aboutissement, les idées fusent trop pour que l'aboutissement soit total, les plans sont toujours tiré vers l'avenir, l'innatendu, l'impermanence, mais une forme de plénitude qui n'a plus besoin d'étreindre son instrument pour faire naître cette passion qui traverse de part en part ce bel album que l'on doit encore à Fou Records.
Lorsque j'ai entendu Joëlle Léandre pour la première fois, à cette époque donc, je m'étais dit comme Serge Teyssot-Gay le dira dans des termes plus fleuris quinze ans plus tard, qu'elle était "plus punk que les punks". C'est cette intransigeance qui est brillante. Merci, madame Léandre, pour ces quarante ans.

 

12-Joelle-2

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