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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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17 mai 2016

Alban Darche - Pacific

Nous l'avons déjà écrit : la discographie d'Alban Darche est un jeu de piste.
Une petite machine référentielle faite de virages réguliers, de petites cachettes amusantes remplies de douceurs et d'allers-retours qui picorent l'ancien pour mieux aller tout droit vers l'avant, à une vitesse remarquable. Le saxophoniste fait partie de ces musiciens dont on peut tout à la fois apprécier l'œuvre par univers (et ils sont multiples) et savoir les remettre dans une forme de continuité conceptuelle extrêmement rigoureuse.
C'est ce que je préfère faire. Lui aussi : chaque point, chaque univers tangente vers un point central. Une démarche cubiste, en somme !
Car les jeux successifs avec les langages s'articulent avec aisance, il est assez simple, au bout du compte d'avoir une grammaire unique, un langage darchien, qui se reconnaît aisément. C'est le cas ici, dans ce nouvel album Pacific, du morceau « Five », lorsque l'alto et le trombone de Samuel Blaser jouent au chassé-croisé très ouvragé autour du piano martelé de Jozef Dumoulin. On se retrouve en terrain connu.
Mais le biotope est différent.
Avec son nouveau quintet, Alban Darche visite la côte Ouest des Etats-Unis, ou plutôt l'esthétique de la West Coast, celle de Konitz, Desmond, et Tristano. Pour ce dernier, elle est surtout notable dans la suite « Pacific », où les trois soufflants se livrent à un exercice d'une rare finesse, qui servent l'écriture de Darche qui s'impose non sans une pointe de facétie des contraintes stylistiques sans varier de cap.
Ces contraintes, Darche les transcende même lorsque qu'apparaissent des figures, voire des ombres, inattendues dans les improvisations : celles de Miles Davis et de Gil Evans, par exemple, au détour du splendide « Kenny » (Dorham?), dans le fender, mais aussi dans le jeu impeccable du batteur Steve Argüelles, nouveau venue dans la galaxie Darche qu'on croise régulièrement avec Benoit Delbecq, tout en musicalité métallique. L'anglais s'accorde à merveille, dans un contexte de quintet sans basse, aux claviers fièvreux de Dumoulin.
A ce stade, il faut comparer ce présent Pacific au Crooked House de l'Hyprcub il y a quelques mois. Après cet « Albanology » qui plongeait un quintet « East Coast » dans un précipité, c'est « Birth of The Coocool » qui tient ce rôle avec un quintet « West Coast ». Sur le premier, deux saxes un contrebasse, plus nerveux et urgent. Sur le second, une palette alto/trombone/trompette, plus élaborée et lumineuse.
Des disques à regarder en miroir, voire en positif/négatif. Ou en couleur/noir&blanc. Enfin à mettre en opposition polaire : semblables mais foncièrement différents. Alban reste à l'alto, c'est la marque de naissance qui atteste de leur gémellité. C'est également, au regard des timbres, le point d'équilibre de l'orchestre.
Pacific est plus coloré, plus solaire, sans perdre de cette étrangeté cinématique qui faisait merveille dans la pénombre de Crooked House. Une couleur à l'image de la pochette de cet album sorti en vinyl mais disponible en téléchargement pour les réfractaires du bras articulé.
Un exercice pensé comme un vinyl, avec ses faces et ses respirations entre les morceaux.
Pacific n'est pas un objet de collection. C'est une réflexion globale sur le jazz qui a nourri chacun des improvisateurs et une manière de remettre tout cela en perspective sans faire table rase du reste. Au contraire, en l'infusant de ces nouvelles essences. En témoignent les interventions profondes et inquiétantes de Dumoulin sur « Fugue n°1 » qui recèlent des petits trésors contrapuntiques entre les trois soufflants, le vieux complice Geoffroy Tamisier rejoignant Blaser et Darche qui sont l'axe fort de cet album. Très vite (« Bess »), on perçoit que Blaser n'est pas complètement sorti de son hommage à Giuffre. Le trombone est puissant et agile. Il n'hésite pas à visiter les basses, à jouer les dissonances avec ses deux compères. Quant à Tamisier, le wheelerien Tamisier dont la place ici est évidente, il suffit d'écouter Trumpet Kingdom, sorti il y a presque dix ans chez BMC pour se rendre compte que les galets de Pacific avaient déjà été copieusement semés.
Alban Darche continue son chemin. Le second semestre nous révèlera d'autres aventures, tout aussi excitantes.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir... Enfin, va savoir...

 

302-Kamakura-beach

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