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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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3 novembre 2016

Das Kapital & Royal Symphonic Wind Orchestra Vooruit - Eisler Explosion

Poursuivre, toujours poursuivre une obsession. Documenter, toujours documenter celle-ci. La frotter au vivant, la frotter au réel, lui donner corps et la façonner de nouveau. On ne saurait qu'encourager quiconque se lance dans ce noble art de l'éternel recommencement.
C'est l'histoire de Das Kapital, et ceci dit sans une pointe d'ironie qui saura faire sourire les vieux militants.
Enfin, quoique.
Mais là, on ne parle pas de l'oeuvre de Marx ni même de son sujet, deux antiennes qui se régénèrent par elles-même, mais du trio à qui l'on doit ce disque... Qui était justement une petite déviation du paradigme.
Un trio international -c'est bien le moins- installé à Paris qui compte dans ses rangs le percussionniste français Edward Perraud, le saxophoniste allemand Daniel Erdmann et le guitariste danois Hasse Poulsen. Trois musiciens aux univers ouverts tout azimuts qui ont en commun une obsession : Hans Eisler, disciple de Schönberg, auteur de l'hymne de la RDA et de nombreuses musiques de films. Cosmopolite, le mot le plus beau qui soit, et donc dissident partout ; censuré à l'envi et compositeur de génie. Tout pour plaire.
D'Eisler, Das Kapital a fait deux albums : Conflicts & Confusions et il y a sept ans Ballads & Barricades dont ma camarade Diane Gastellu disait tout ce qu'il fallait en dire. Jamais chroniqué en ces pages, car on ne peut pas tout faire. Mais aussi parce que pour être parfaitement honnête, il manquait toujours quelque chose : les meilleurs ingrédients du monde, et c'est peu dire de ces musiciens qu'ils y concourent, ont toujours besoin d'un liant.
Das Kapital ne déroge pas à cette règle, et sans doute manquait-il à la souplesse de l'arrangement, à la folie des percussions de Perraud et à la nervosité de Poulsen un orchestre de vents de plus 80 pièces.
Un truc énorme, pour aller droit au but.
C'est chose faite, et avec une palanquée d'arrangeurs, à égalité entre spécialistes d'Eisler et des accomodements de cuivres. A commencer par Peter Vermeersh du Flat Earth Sociey (notamment "Über Den Selbmord / Elegie 1939", longue pièce qui offre tout plein de ponts entre la dynamique collective et l'improvisation, sans pour autant avoir un orchestre au service des improvisateurs. Rien ne se souligne, tout s'interpénètre). Avec le magnifique "Bankenlied", il rappelle aussi qu'Eisler fut un compositeur pour le cinéma... Et quel !
D'autres arrangeurs s'emparent de la dimension harmonique à la fois très classique et nécessairement d'Avant-garde d'Eisler, comme Stéphane Leach avec le magnifique "Karl" où les cuivres donnent une perspective vertigineuse à cette musique.
Vertigineux, c'est le mot.
Eisler Explosion est gourmand mais pas vorace, exubérant mais pas désordonné, à l'image des coups de sang soudain qui s'agrègent à une dynamique collective.
L'orchestre qui accompagne Das Kapital exalte la force du nombre et la souplesse de la masse dans la plus pure tradition des fanfares populaires qui structuraient les mouvement sociaux dans le nord de l'Europe. Ils posent un cadre, un schéma sur lequel les trois musiciens peuvent dévier à l'envi.
Improviser comme on lutte, à l'instar de "Ouest" où la guitare de Poulsen vient découper en larges tranches une solennité empreint d'une conviction. Celle que la musique brise les chaînes de l'exploiration. Voilà ce qui anime le Royal Symphonic Wind Orchestra Vooruit (RSWOV) de Gand, ville où a été enregistré ce disque, dans les locaux du Vooruit (l'équivalent flamand de la place du Colonel-Fabien) ce joyau Art-déco.
Le lieu y est certainement pour beaucoup dans cette enthousiasme palpable. "Eisler's Hand" qui ouvre l'album est une thérapie de choc contre l'individualisme. Ca se dynamise collectivement. Ca s'inscrit dans un mouvement qui sait d'où il vient et ce qu'il raconte. Ca se perçoit et c'est magnifique, y compris dans le moindre détail qui fourmille
le RSWOV est un orchestre dans lequel Daniel Erdmann se fond avec sa douceur et sa souplesse habituelle. Il est à l'avant-garde mais ne se détache pas. Il apporte la finesse de la sculpture qui ne serait rien sans la masse à tailler. Ecoutons la "Ballade" qui clôt l'album pour s'en convaincre.
Eisler Explosion est un disque exaltant, énorme, qui impulse quelque chose qui n'a pas de posture ou de faux-semblant. C'est le point culminant d'un obsession, parfaitement restitué par l'ingénieur du son Michael Seminatore -comme souvent-. Un album indispensable !

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

01-Mundaneum

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