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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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25 novembre 2016

Nicole Mitchell - Moments of Fatherhood

Il y a toujours une manière optimiste de voir les choses. C'est difficilement envisageable par celui qui tapote actuellement ce clavier, mais c'est possible.
Ainsi, et malgré les récents évènement qui ont coiffé les Etats-Unis d'Amérique dans le sens du -mauvais- vent, avoir des nouvelles de l'Avant-Garde musicale des places fortes du pays nous réconforte. Récemment il y a eu Mary Halvorson, Taylor Ho Bynum va venir et dans un autre registre, Common.
Pour rester à Chicago, La flûtiste Nicole Mitchell vient à son tour ; et ce n'est pas la moins attendue. La dernière fois que nous l'avions évoqué, c'était l'année dernière, pour un trio de figures de l'AACM dont elle fut la présidente. On la retrouve ici sur le label Rogue Art avec un projet très ambitieux mêlant la Great Black Music avec des influences de la musique écrite contemporaine européenne. Une direction qui fut déjà la sienne, sur le même label, avec Arc of O. L'occasion de découvrir son goût pour une écriture chambriste extrêmement élaborée.
Une finesse elle fait également preuve avec son Ice Crystal dont nous avions parlé, mais aussi et surtout de son Black Earth Ensemble, formation a géométrie variable à qui l'on doit de formidables albums dont le présent Moments of Fatherhood est le septième : on retiendra avant tout l'orgiaque Black Unstoppable sorti en 2007 chez Delmark, avec Tomeka Reid et le fidèle saxophoniste David Boykin, que l'on retrouve ici. 
L'orchestre réunit par Nicole Mitchell est double. Ou plutôt, ce sont deux ensemble qui se rencontrent, même s'il se connaissent et s'interpénètrent depuis longtemps. D'un côté, le Black Earth Ensemble, avec Renée Baker au violon et Aruan Ortiz au piano qui complètent. De l'autre, l'ensemble Laborintus, tourné vers la musique contemporaine et créé par la harpiste Hélène Breschand et le clarinettiste Sylvain Kassap. S'y adjoignent le violoncelle d'Anaïs Moreau et les percussions de César Carcopino qui donnent à cette musique une légèreté unique. Enfin, le contrebassiste Benjamin Duboc est en quelque sorte à la césure des deux orchestres; dans ce dialogue transatlantique, il est le liant.
Le câble souterrain qui relie les deux continents, et notamment le piano très rythmique d'Ortiz dans le splendide "Listening", un morceau d'une grande poésie qui se déguste comme un millefeuille tant il y a de strates, de micro-cellules de dialogues entre instruments. Le violoncelle souligne la flûte à qui la clarinette basse donne du relief. C'est à la fois beau et simple, intime et d'une grande sincérité
Moments of Fatherhood a une origine. Il s'agit des images de la figure des droits civiques W.E.B. Du Bois, qui montrait des familles africaines américaines à la fin du XIXe. Une exposition fut présenté à l'Exposition Universelle de Paris en 1900, et la quiétude qui ressort de ces photos a inspiré à Mitchell une musique tendre et délicate où se croisent la malice, l'amour et la douceur ; la paternité dans ce qu'elle a de plus naturelle, qui transparaît dès "Building Stuff" avec les tintements amusés de Carcopino. C'est espiègle mais en même temps, il y a quelques atomes de l'Art Ensemble of Chicago qui flottent dans l'air, avant un époustouflant travail de timbres qui synthétise tout et transforme ces deux ensembles en une seule grande formation insatiable.
C'est ainsi qu'on perçoit que Mitchell étend la paternité à une filiation, une tradition, voire un tribut à ses illustres prédecesseurs et à leurs influences, quel que soit le côté de l'Atlantique. On en retrouve nombres au détour d'un jeu de timbres, d'une rythmique subtilement travaillé, d'une courte digression de harpe ou du jeu sec et profonde de la contrebasse.
Plongez-vous profondément dans "Only One Like Him" où violon et flûte font un pas de deux vite rejoint par le violoncelle avant qu'après moult rebondissement la voix de Mitchell reprenne le thème sur les crêtes du saxophone. l'espace est immense, vertigineux, changeant. Tout est remarquablement conçu pour qu'il n'y ait aucun excès, aucune indigestion.
Les neuf musiciens de Moments of Fatherhood sont capable de faire feu de tout bois, et de se passer le relais ; c'est une sensation que l'on retrouve dans "Explorers" . Du jazz à la musique contemporaine sans qu'on y voit aucune coutures, puisqu'il n'y en a pas dans la fluidité du propos. On s'amuse beaucoup et l'on s'émerveille, comme des gosses.
Et c'est certainement l'un des disques les plus excitant de l'année.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

03-Sunbeam

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