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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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5 février 2018

Bernard Santacruz - Tales,Fables And Other Stories

C'est amusant de réécouter un concert dont on était. Parce que le concert de Bernard Santacruz, ce solo de contrebasse dans la salle des nus de l'école des Beaux-Arts de Rouen, cette salle en vieille pierre blanche qui avait peut être connu un Géricault incapable de dessiner des pieds, j'en étais. Inutile de revenir dessus, les heureux possesseurs du disque auront l'occasion de lire la description chaleureuse et détaillée de Pierre Lemarchand, l'organisateur du Festival Jazz à Part qui accueillait, en novembre 2015, le contrebassiste sudiste.
C'était un beau concert sur les bancs en bois de la petite salle éclairée de manière à bien découper les ombres, à donner de la matière. Des bancs en bois sur lesquels s'assoient les étudiants, qui ressemblent à des gradins ouvragés et qui grinçaient à l'unisson du bois de la contrebasse. Je m'en souviens d'autant plus vivement que ma fille ne cessait de gigoter.
On ne l'entend pas sur le disque, je vous préviens tout de suite.
Pour le reste, le concert, remarquablement capté malgré l'acoustique pas forcément simple de ces salles atypiques (il existe un vidéo), traduisent à merveille mes souvenirs. Il y avait un côté solennel à la prise de parole soliste de Santacruz : le comparse de Bruno Tocanne dans Over The Hills se nourrit de l'historicité des lieux pour jouer avec beaucoup de retenue ; il ne se livre pas tout de suite, laisse les cordes dialoguer à même le bois, s'enivre de silence et d'une légère persistence du son. Il faut aussi replacer les choses dans leur contexte : nous sommes une semaine après le 13 novembre 2015, et malgré le cocon rassurant de cette petite salle, il y a comme une brume pesante alentours avec laquelle le contrebassiste lutte. « From Missirikoro to Sikasso », où le jeu se fait plus sec, où l'archet se heurte à des obstacles préparés en témoigne sans doute avec le plus d'acuité.
Toute la salle, musicien compris a envie de transcender, le temps d'un soir, la chappe de sidération. Il n'y a qu'un conteur ou un poète qui peut l'offrir. C'est le sujet de Tales, Fables & Other Stories, paru sur le label JuJu Works, dont l'ami Guillaume Séguron a réalisé la pochette (tous les talents, celui-ci...). Une photo négative d'une maison (hantée?) nimbé de mystère...
Bernard Santacruz est un artiste discret et mystérieux, mais plein d'imagination, et cette image comme cette musique lui va à ravir.
Pour les soli des grands improvisateurs, et il est d'évidence que Bernard en est un, l'instrument fait tellement corps avec son manœuvre qu'il en prend la personnalité, tant il est le prolongement, conscient ou inconscient. C'est d'autant plus vrai avec cette si humaine contrebasse. L'objet de Joëlle Léandre est tellurique, insatiable, explosif, Celui de Bernard Santacruz est plus taiseux d'apparence mais il est sec et nerveux, très cérébral et inventif. La contrebasse est un terrain de jeu aux possibilités multiples, ouvertes à la pulsation comme la narration par les sons, les souffles, les frottements et les claquements.
Ce disque raconte une belle histoire ; il convient de se laisser porter.

12-Santacruz

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