Anthony Braxton - This Time...
Il y en a qui font les soldes pour des bouts de tissus.
En général, je les passe sur les sites de destockages de disques. Avant je les passais dans les disquaires de ma bonne ville aux cent clochers, mais si les cloches tonnent encore à toutes volée, les disquaires ont disparu.
Il y a longtemps, en ces pages qu'on a parlé d'Anthony Braxton. Plus d'un an, pour tout dire, et la ressortie d'un coffret magnifique sorti dans la collection Black Saint, qui a récemment ressorti un coffret George Lewis dont j'ai parlé pour Citizen Jazz et que je ne puis que vous conseiller.
Braxton, donc. C'est en cherchant Un album de ses albums à sortir chez Hat-Hut à propos de compositions de Lennie Tristano que je suis tombé sur un exemplaire à vil prix d'un de ses premiers albums que je croyais indisponible. Joie de la sérendipité ! C'est ainsi que pour moins de cinq €uros, j'ai récupéré This Time...
Sixième album en leader du multi-anchiste, il est certainement l'un des plus important, comme un passage à une musique moins marqué par les coups de boutoir du Free et où les idées de Braxton sont entrain d'aboutir, ce qui est patent dans le "Solo" à l'Alto, déjà loin de son For Alto de 1969, et plus proche du Récital Paris 1971 qui sortit chez Futura
Ainsi, This Time... est l'un des premiers album où sa propre musique se révèle éloigné des heurts du Free Jazz. Il interroge un propos plus timbral, plus spatial, notamment dans les 5 "Small Composition" qui compose la face B de ce qui était le 33 tours. Ainsi, la "Small Composition N°1" repose sur l'échange entre le violon de Leroy Jenkins et la trompette de Wadada Léo Smith. Ces miniatures sont des trésors pour comprendre la démarche qui sera celle de Braxton dans les années futures. Ainsi la "Small Composition N°3" et la "Small composition N°4" qui lui fait suite dure chacune moins de deux minutes mais plonge dans une musique ou l'énergie réside dans la masse fluctuante du silence que les musiciens transperce de fulgurances.
En 1970, Braxton comme beaucoup de ses collègues de l'AACM sont à Paris ou l'accueil qui leur est fait est plus enthousiaste que dans la vieille Amérique et où ils peuvent continuer à travailler leur approche syncrétique de la Great Black Music, qui ne s'interdit aucun rapprochement avec la musique savante occidentale. Braxton est le fer de lance de ce mouvement. Avec son quartet où l'on retrouve, outre Smith et Jenkins le remarquable percussionniste Steve McCall, il enregistra deux album pour le label BYG/Actuel qui fédéra cette scène dans le début de la décennie 70 et a qui l'on doit le festival belge d'Amougies en Belgique, célèbre pour avoir fait la jonction entre le Free Jazz, la musique contemporaine et la pop music sous l'égide de Zappa...
Symbole de la liberté créative la plus absolue, ce disque de Braxton offre notamment un morceau enregistré dans la rue (nommé opportunément "in The Street") et qui donne encore plus d'espace au propos en nourissant l'utopie d'une musique au coeur du quotidien. De la même façon, la longue "Composition N°1" (C'est donc celle-ci, la première !) qui s'ouvre sur les cataractes tonitruantes de la clarinette contrebasse vite rejointe par ses comparses convergents. Il y a dans ce morceaux tant de directions, de chausse-trappe et de volte-face qu'il serait trop long de les détailler alors que cela tient en une phrase ; s'y plonger au plus profond. Se laisser recouvrir. Se retenir à l'archet de Jenkins. Lacher prise.
Un disque brillant et fondateur.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...