Sophie Agnel & Olivier Benoit - REPS
Le Reps, c'est ce tissu cossu dont on fait les meubles courru chez Laura Ashley ou autre enseignes bourgeoises, où les couleurs pastel se marient à d'autrent plus vives en des lignes parallèles censées évoquer l'élégance.
C'est un tissu lourd, solide, à lourdes trames, qui laisse sous la mains un relief prononcé malgré une certaine douceur ; une impression de velours néanmoins plus rêche, du aussi à la tension de la soie et de la laine sur les canapés ou les rideaux.
La musique de la pianiste Sophie Agnel et du guitariste Olivier Benoit n'a a priori rien de la musique d'ameublement, et ce n'est pas, chose certaine, la bande-son d'un intérieur de pavillon de chasse. Les deux improvisateurs collaborent depuis longtemps, et se côtoient au sein de l'Orchestre National de Jazz.
On pourrait dire qu'à plein d'égard, leur profil est gémellaire : même goût pour l'improvisation libre, même approche physique et transgressive de l'instrument, même goût pour les atmosphères à fleur de peau et les dispositifs de tension.
Au delà de leur collaboration dans Europa Paris, dont chacun pourra juger de l'excellence, Agnel est une pianiste qui aime à jouer à l'intérieur de son piano et avec toutes sortes d'objet, on l'a vu travailler avec Daunik Lazro ou Phil Minton.
Benoit est un guitariste que peu de frontières n'arrête et qui n'aime rien de mieux que de charger son instruments d'éclairs électriques et d'angles droit pour pénétrer la masse du silence et la pénétrer au plus profond, comme son fondateur solo Serendipity nous le démontrait.
REPS, c'est le second album du duo Agnel/Benoit après Rip-Stop sorti chez In Situ en 2002. Il s'est passé près de 10 ans avant cet enregistrement de 2011, et la géographie des deux musiciens, si elle s'est agrandie, est toujours aussi voisine.
Capté au centre de Création Musical Césaré, près de Reims, ce corps à corps en deux partie s'avère toujours aussi farouche, ondoyant, frappeur, sans qu'aucun des deux ne prennent le dessus sur l'autre. C'est un disque court, violent parfois, mais très addictif tant on est ballotté par les cataractes de la guitare et le martèlement du piano, qui parfois se retire comme la mer pour laisserr place à un presque silence.
C'est le cas notamment au mitan de "Reps-1". Après un départ nerveux et pénétrant, où la guitare semble se fracasser sur un accord répété à l'envi, comme un mur fait pour mieux se fracasser, les équilibres se créent dans une atmosphère alcaline, le piano s'efface pour laisser place au bruissement de la soie des cordes, l'électricité omniprésente mais presque silencieuse évoque la main qui frotte une nappe pour en épousseter les scories et les miettes.
Le piano semble étouffé, chaque geste, chaque micro-mouvement est une strie du silence qui nous laisse attentif, en embuscade, près à repartir au plus profond des larsen de la guitare autour desquels le piano construit des motifs, discret d'abord et de plus en plus insistants.
La dimension charnelle du duo est indéniable, elle aime caresser un bruitisme ardent sans jamais le pénétrer vraiment, l'échange reste en surface, même lorsque au milieu de "Reps-2" les tréfonds des basses du piano et ses cordes tirées, pincées, frottées se confondent avec une guitare que Benoit prend un malin plaisir à écorcher pour la rendre indomptable. Cela évoque la pluie d'orage et le grand vent, un chaos qu'on se plait à contempler derrière un vélux poser sur un lit, dans le ciel en furie mais en même temps absolument protégé de lui.
Un orage qui se vide jusqu'à la dernière goutte et nous rend au silence dans un larsen qui s'éteint peu à peu, essoré mais ravi. Reps est un magnifique voyage en bonne compagnie sur des sentiers ardus mais magnifiques, caillouteux mais large, le tout sous un radieux ciel menaçant.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...