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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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18 janvier 2015

Kowald / Lazro/ Nozati - Instants Chavirés

Le label Fou Records de Jean-Marc Foussat s'est spécialisé récemment dans la redécouverte de pépites plus ou moins anciennes, mais souvent mythiques de la musique improvisée européenne. On a en mémoire le concert capté en 1982 avec George Lewis et Joëlle Léandre au mythique théâtre Dunois sorti récemment ; voici avec Instants Chavirés, du nom du festival Montreuillois un concert plus récent, mais de ce siècle, enregistré au début des années 2000.
Le Trio qui enregistre ce concert il y a quinze ans a beau être plus proche de nous, la plupart des musiciens qui le compose ont disparu. Ne reste que Daunik Lazro, plus vivant que jamais. Ce disque permet de constater d'ailleurs que si son style si caractéristique a peu évolué sur cette quinzaine d'année, il s'est considérablement affiné.
Le contrebassiste  Peter Kowald est décédé en 2002. Sa carrière, de Lol Coxhill à Peter Brötzmann, a cartographié la musique improvisée européenne.
Le contrebassiste a un jeu plein, nerveux, orageux, qui s'allie à merveille à l'alto et au baryton de Lazro. Le morceau "Laz Kow" en témoigne : le jeu du contrebassiste est souple, il accompagne les petits bonds du saxophone dans un étourdissant jeu d'évitement. Chacun insiste dans sa propre direction, effleure, provoque, bouscule parfois mais sans jamais entrer en collision.
Les longues improvisations sont le théâtre des convergences entre ces deux improvisateurs qui n'enragent jamais.
On reconnaît très vite cette capacité qu'à Lazro à dessiner des étendues rugueuses et désertiques sur lesquelles ses comparses peuvent bâtir toutes sortes de paysages luxuriants. Nous ne sommes pas avec Kowald dans la puissance terrienne que peut développer un contrebassiste comme Benjamin Duboc.
Il n'y a pas non plus cette présence tellurique d'une Joëlle Léandre. Il y a avec ce contrebassiste comme une prestance frémissante qui se retrouve également dans "Kow Laz Noz", l'un des deux morceaux où le trio est réuni.
Ici, la main glisse sur les cordes et tressaille avec douceur. Le bruit et la fureur, c'est la chanteuse Annick Nozati qui l'apporte. Kowald comme Lazro sont deux musiciens qui aiment se mesurer à la voix.
Nozati est la voix. Le cri. Presque primal parfois.
Le troisième tiers des Diaboliques, trio mythique qui réunissait Joëlle Léandre et Irène Schweizer est le centre physique de ces instants chavirés. Elle arrive dans ce morceau sur la pointe des pieds d'abord, de sa voix pleine et lyrique, et puis elle bouscule. Elle emplit l'espace, le déchire. Le culbute. Oblige Lazro à se faire plus anguleux. Et puis elle joue avec les mots, avec les consonnances, avec la gorge aussi, parfois. Elle s'enchevêtre dans les cordes de Kowald, fait feu de chaque bruit.
Dans "Laz Koz", le morceau inaugural où elle est en duo avec Lazro, on constate, avec le recul, la proximité vocale entre Nozati et Léandre. Cette capacité à renverser la table, à jouer de tous les sons mais aussi cette volonté de trouver la poésie et la douceur en toutes choses, même les plus drues.
Une douceur qui peut mener jusqu'au silence dans cette belle pièce solitaire "L'invisible" qui vous chamboule totalement.
C'est peut être le dernier concert d'Annick Nozati qui mourra quelques mois plus tard. Elle qui a longtemps conçu la musique comme un second air à respirer, elle semble donner ses dernières forces dans ce dessein collectif. C'est ce qui en fait sa forte composante nostalgique, au delà de la qualité de ce concert, qui plonge avec tumulte et lyrisme dans les turbulences de la musique improvisée européenne.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

02-Kitty

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