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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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4 mai 2011

Bill Carrothers - Excelsior

Parmi les nouvelles collections particulièrement intéressantes des labels de jazz ces temps-ci, il est bon de noter "Jazz and the City", dirigé par Jean-Jacques Pussiau. Le concept aurait pu être tout à fait fumeux : un pianiste seul devant ses touches pour évoquer une ville de son cœur. Ce qui aurait pu virer très vite à la Carte Postale a au contraire créer une intimité "géographique" entre le pianiste, sa musique et celui qui la reçoit, cherchant l'image super-8 d'une bulle de souvenir plutôt que le clinquant des dépliants touristiques triturés.
Les deux premiers opus de la collection rendaient hommage à des villes lumières par cette face intime : Kenny Werner pour New-York et surtout -puisque c'est un de mes pianistes favoris-, Memories of Paris par Eric Watson que j'ai eu la chance de chroniquer pour Citizen Jazz. Un disque formidable dans lequel il y avait cette notion d'errance, de voyage dans l'intime... Mais Excelsior, le troisième volet de cette collection qui nous présente un solo du génial Bill Carrothers est au delà de cette notion de voyage ; on entre et l'on fait corps tant avec le piano qu'avec son maître.
Par le choix de la petite ville du Minnesota au bord d'un grand lac et qui recelait un parc d'attraction jusqu'au mitan des années 70, Carrothers ne prend pas à revers les deux premiers albums sous le simple sceau d'une originalité qui n'aurait pas de sens s'il n'y avait pas la musicalité de l'âme derrière. Excelsior n'est pas seulement un nom qui fleure bon l'Amérique industrielle et l'American Way of Life de l'après-guerre. C'est aussi et surtout la ville natale de Carrothers, et les accords qu'il plaque sur son piano, la douceur de certaines atmosphères pointillistes sont surtout le chant des souvenirs. Voir les deux morceaux "Water Street Summer" plein de nostalgie et de temps suspendu et "Water Street Winter", décharné et mélancolique, qui lui fait suite. Ces réminiscences peuvent être réelles ou fantasmées, elles existent puisque la musique les portent. Carrothers note qu'il est arrivé, pour la première fois, dans un studio dans une impréparation totale. C'est là que la magie s'opère, dans cette musique de l'instant qui se fonde par les impressions atténuées par le temps des souvenirs d'enfance.
Le résultat est magnifique.
On savait Bill Carrothers formidable raconteur d'histoires, de mémoire collectives au sein d'évènements qui dépassent l'Homme, comme ce "Armistice 1918" dont on parlera encore dans des décennies. Voilà qu'il nous raconte sa vie, des instantanés bleutés dans "Wild Rose Lane" comme un monde qui s'effiloche. Cependant, dans chacune de ses notes, on perçoit une autre histoire, plus large. Celles de ces villes anonymes d'une Amérique qui les a oubliées après les avoir fait espérer un monde nouveau. "Amusement Park"  a disparu malgré l'ivresse de ses manèges ; l'entendez vous se déliter peu à peu et s'éloigner ? "Goodbye Carousel" nous répond-on plus loin, puisqu'aujourd'hui il s'agit plutôt de sortir dehors avec des drapeaux américain à chaque exécution de pantin médiatique.
Excelsior est un disque heureux. La nostalgie y est comme une écharpe onirique dans laquelle Carrothers se pelotonne. "Excelsior in A dream", bien sur, qui clôt l'album dans la ouate et l'éther, mais aussi "Soda Fountain Hapiness" et son piano préparé où la main gauche semble se battre avec un morceau de métal dans un groove jubilatoire et raffiné. On notera également "Excelsior Bay Fireworks", dans le même ordre d'idée où une phrase lancinante vient témoigner d'une excitation toute enfantine.
La grande trouvaille qui permet de mettre encore plus en valeur ce grand disque, vient de la prise de son encore une fois faite par le définitivement indispensable Gérard de Haro. En surplus d'un piano qui rend le phrasé de Carrothers tonitruant, un micro permet d'entendre le souffle et les grommelots qui trahissent les chants intérieurs du pianistes, comme une hypnose qui révèlerai en nous une musique universelle ; celle de l'enfance, au Minnesota comme ailleurs...

 

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

09_Niemeyer

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