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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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24 septembre 2013

Pascal Niggenkemper Vision 7 - Lucky Prime

Créé dans le cadre du fabuleux festival Jazzdor qui oscille avec légèreté entre Strasbourg et Berlin, Vision 7, le septet du contrebassiste Franco-Allemand Pascal Niggenkemper a de quoi séduire. Pas que séduire, d'ailleurs. Profondément exciter surtout, quand on découvre ses compagnons, puisés dans le vivier imposant des musiques improvisées européennes.
Il ne faut pas être grand clerc pour affirmer que l'improvisation européenne ne s'est jamais aussi bien porté. En réunissant des musiciens allemands, belges (la formidable vibraphoniste Els Vandeweyer) et français, Niggenkemper pose indirectement la question : y a-t-il une unité, un mouvement commun dans la musique improvisée européenne ?
Avouons-le, nous connaissions la réponse.
A force d'écouter ces merveilleux solistes dans leurs projets respectifs. Mais à l'écoute de la mécanique subtile, à la frange du silence, entre le piano de l'incontournable Eve Risser et le vibraphone de Vandeweyer dans le bien nommé "En Urgence", le constat est sans appel... La cohérence est là, et bien là !
Ce Lucky Prime enregistré pour le label Cleanfeed est un savant amalgame de musique improvisée et de musique écrite qui fait songer dès les premiers instants au travail d'Anthony Braxton dans cette maîtrise de la pâte orchestrale, et dans cette capacité de transcender sans cesse la grammaire classique du jazz.
C'est ainsi que dans "I Don't Now Why But This Morning", la base rythmique que Niggenkemper partage avec le batteur Christian Lillinger caresse un groove dégingandé qui se délite peu à peu, au gré des ostinati du piano de Risser, dans une masse fièvreuse et foisonnante.
Si Niggenkemper n'est pas forcément un habitué de ces pages -il faudrait tant de vies supplémentaires !-, ses collaborations avec Tishawn Sorey ou Gerald Cleaver parlent pour lui. On conseillera notamment Urban Creatures, enregistré en trio avec Sorey, car il présente un contrebassiste au jeu très profond et à la fois discret, remarquable à l'archet, qui aime à bâtir un propos collectif sans être directif.
La plupart des musiciens de Vision 7 sont nés dans les années 80. Voilà qui est particulièrement réjouissant, car ceux-là ont encore des dizaines d'années pour avancer, progresser,  et surtout créer. Seule exception, multianchiste Frank Gratkowski, que l'on a pu voir avec Gerry Hemingway ou Wibert De Joode (auquel on pense beaucoup dans cet album) est plus âgé ; mais la musique d'une liberté absolue que nous offre le septet est d'une telle maturité, plonge tant ses rhizomes dans les mêmes fleuves bouillonnants que ça n'a guère d'importance.
A l'écoute de "Feuertreppe", la longue pièce au pivot de cet album, on est subjugué par la capacité de l'orchestre à construire un paysage changeant et chaleureux. L'altiste Frantz Loriot, qui est certainement la grande découverte de cet album guide l'orchestre dans un dédale où l'on croise la voix d'Emilie Lesbros comme la clarinette basse de Gratkowski et qui semble se plaire à décliner toutes les combinaisons de timbres possible.
Emilie Lesbros ! Depuis son album, ou plus récemment avec Henri Roger, elle s'impose comme l'une des chanteuses les plus atypiques et les plus saisissantes du moment. Elle est ici au centre de l'orchestre, qu'elle échauffe parfois, comme dans le premier morceau, sans doute l'un des plus écrit et qui démontre de la puissance de feu de l'orchestre. "Carnet plein d'histoire" est un mélange d'allemand et de français dans lequel s'intercale parfois un peu d'anglais que Lesbros investi comme une porte d'entrée vers la luxuriance de l'improvisation. Ce morceau, comme son jumeau, le beau "Sortir de la colère" en fin d'album, est comme un symbole de cette alliance cosmopolite de jeune gens qui parlent le même langage.
Celui de la Liberté et de l'Écoute. Deux valeurs absolues que nous ne pouvons que partager...

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

168-Jakobstad

 

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