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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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15 mai 2015

WATT - 77'06

Comme nous l'avons évoqué hier, nous poursuivons pour la semaine le panorama du coffret de cinq sorties du label BeCoq qu'il convient de mettre à l'honneur.
Cinq disques qui embrassent cinq univers différents mais pourtant proches, dans la volonté de repousser les limites, d'aller voir ce qui se trame aux confins et d'essayer de trouver des chemins de traverse qui relient entre eux ces univers. Avec Cactus Truck, c'était le Free le plus cru, le plus dru qui était à l'honneur. WATT, le quartet qui nous concerne aujourd'hui se situe d'apparence de l'autre côté du pôle.
A la fureur laisse place l'immobilité apparente.
Ou du moins la sculpture opiniâtre du son jusque dans ces plus maigres oscillations, puisque l'on sait depuis les Minimalistes que les sensations de notes tenues, de décalage léger et le moindre effet de souffle prennent dans une masse sonore irréfragable une importance énorme.
Pourtant WATT et Cactus Truck ne sont pas si éloignés, puisqu'on peut y trouver quelques volontés communes. A commencer par une concentration profonde qui doit se partager entre émetteurs et receveurs. On parle des musiciens entre eux, mais on parle aussi de l'auditeur, acteur central de cette expérience sensorielle qui peut sans doute aller jusqu'au rejet.
Heureux sera celui, et votre hôte en est, qui saura suffisamment lâcher prise pour se laisser dompter par le son énorme de ces quatre clarinettes, unies en cercle dans une chapelle de l'Aisne pour en faire vibrer les vieilles pierres.
Clarinettes, clarinettes basses, chaque membre de la famille entre en résonnance dans une vague qu'il faut laisser vous submerger. On y flotte comme de l'éther, et le moindre souffle, la moindre vibration change absolument la perspective. Change l'atmosphère, qui se ride comme une flaque troublée par un gravier. Elle reprend ensuite sa forme, impavide.
On touche ici à une forme d'émotion spectrale, une sorte d'antithèse du cri qui produirait les mêmes effets.
Les quatre musiciens qui forment WATT sont quatre clarinettiste de la jeune génération hexagonale qu'on se dispute sur la scène jazz. Julien Pontvianne est membre du collectif Onze Heure Onze et du Aum Grand Ensemble. Il y retrouve Jean-Brice Godet qui joue également dans l'Anti-Rubber Brain Factory de Yoram Rosilio et dans le quartet alléchant qui réunit Joëlle Léandre et Mike Ladd.
Ces deux musiciens côtoient deux clarinettistes qui ont fait les belles heures des récents ONJ, celui de Daniel Yvinec (Antonin-Tri Hoang, par ailleurs comparse régulier des aventures d'Eve Risser) et celui actuel d'Olivier Benoit (Jean Dousteyssier, par ailleurs membre de Pan-G).
Il ne faudra pas essayer de dire un mot sur la performance de chacun, WATT ne fait qu'un, c'est une entité, organiquement liée de quatre souffle qui tendent vers une osmose pleine d'oscillation. Le titre de l'album ne donne pas non plus d'indication particulière. 77'06, c'est le temps du morceau. Le temps de l'expérience. Le temps d'un disque aussi, puisque ce sont également les limites de la contenance qui sont testées.
Mais il y a plus que cette performance, il y a cette beauté qui naît de la stridence, l'espace que prend la moindre éraflure, le moindre geste qui érode une unité qui semble pourtant impossible à dénouer. Le silence même prend des allures de cathédrale. Il suffit de se laisser porter, c'est ce à quoi nous invite WATT.
On pourrait penser que le titre vient du flux énergétique de l'électricité, et de ses oscillations auquel cette musique fait irrésistiblement penser. Il n'en est rien, même si l'on peut penser que le double-sens n'est pas étranger. Si rien n'indique autre chose sur un disque qui fera également penser à une galette de musique électronique, le site de Julien Pontvianne nous oriente vers Samuel Beckett et son délicieux livre du même nom.
Explorer les limites du langage, de son signifié même, ainsi que la construction méthodique du déraisonnable dans le cercle et le cycle... C'est vrai qu'il y a entre les deux oeuvres quelques ponts jetés. Un disque à conseiller vivement à ceux qui sont prêt à se laisser porter.
La beauté se cache dans les détails.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

102-Monochrome-Lapon

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