Jus de Bocse - Shangri-Tunkashi-La
Médéric Collignon est un volcan de création qui peut retourner une salle d'un seul cri ou d'un seul souffle de ses cornets et de ses trompettes. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher par exemple sur sa participation à un des albums majeur de l'année 2009 en sideman. Débordant de projets remarquables, comme cet hommage à Morricone (et pas Moriconne) avec le "Septik", l'un de ses groupes, on ne lui connait, avec Shangri-Tunkashi-La que deux albums sous son nom ; deux albums avec le quartet Jus de Bocse, deux hommages à Miles Davis, qui tiennent plus d'ailleurs du dynamitage respectueux et de la grande cour de récréation pour provocateurs géniaux que constitue les morceaux du maître. Jus de Boscse est un écrin pour Médéric. Composé du batteur Philippe Gleizes, cogneur impénitent à la rage subtile, du bassiste Fred Chiffoleau, remarqué chez Francis et ses peintres et de Franck Woeste au Fender Rhodes, il permet toutes les inventions et les envies du cornettiste.
Si le premier album attaquait Porgy and Bess par la face Nord, c'est à cette controversée période électrique que Jus de Bocse s'attache. L'atmosphère entre jazz mutant, funk cabossé et rock fébrile sied parfaitement au quartet, tout comme la fusion urbaine parfaite de la meilleure période de Miles dont Médéric Collignon, comme tous les natifs des seventies, est un peu l'enfant naturel.
Gleizes fait un travail rythmique incroyable et son entente avec Chiffoleau offre une assise funk indispensable au travail électrique de Woeste et Collignon, tous les deux dévastateurs, notamment dans le morceau Ife, issu du moins célèbre (et c'est une erreur) Big Fun de 1974.
Tangri-Tunkashi-la n'est pas un simple album de "reprise" sage et fidèle, pour reprendre le lexique de mon amie Diane dans CJ qui en fait à mon sens la meilleure lecture. C'est une visite en profondeur dans le bouillon brulant de la fusion jazz-funk-rock de ces années dorées, en y adjuvant des couleurs uchronique, comme si lorsqu'il eut l'idée de mettre une wah-wah à sa trompette, Miles avait su pour Prince et Public Ennemy, pour les Clash et Massive Attack et qu'il en avait tenu compte... Bref, comme s'il avait eu conscience que le maelström électrique qu'il engendrait allait donner le ton à toute une pop-culture de luxe. C'est certainement ce qui explique le choix de Jus de Bocse de terminer cet album, que l'on pourrait alors qualifier de "Fusion en Miroir", par le Kashmir de Led Zeppelin que n'aurait pas renié Zappa.
Dans cet album à la pochette réalisée par Etienne Chaize se situant graphiquement parlant entre le "Yes" Tardif et le "Mahavishnu Orchestra" pré-électronique, les huit morceaux de cette période dorée de Miles extirpés par Collignon deviennent un matériel fiévreux au groove omniprésent. un groove qui ne s'empêche aucune incursion dans le slapstick anecdotique et les constructions harmoniques foutraques qui font aussi l'univers de Médéric Collignon... En témoigne ces arrangements de cor qui donnent une profondeur différente au Shhh Peaceful de In a Silent Way et clignent de l'œil à Zappa (encore lui !) dans Ife. En témoigne plus surement encore ces "Soul Sisters" testostéronés dans It's about that time, ou encore les riffs de rhodes ravageurs du morceau Interlude.
Shangri-Tunkashi-la est un album exutoire, que l'on pourra peut-être prendre comme une forme de synthèse générationnelle -et je m'y reconnais-. C'est surtout un album d'une rare efficacité et d'un enthousiasme raffiné qui fait les grands disques. Indispensable.