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Sun Ship

Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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9 mars 2024

Duo Brady - La vie d'après

Tirant leur nom d'un passage parisien où est né le duo et ils organisent chaque année un petit festival, Michèle Pierre et Paul Colomb qui forment le duo Brady sont deux acteurs discret mais bien vivaces de nos musiques. On a entendu la première dans le Sacre du Tympan de Fred Pallem, le second a travaillé avec Diego Imbert ou Sandra Nkake. Les deux violoncellistes ensembles forment un duo plein de poésie et de rêve, où l'instrument est au centre.
On avait connu le duo lors de leur sélection dans le Jazz Migration #7.
Le violoncelle est la vie du Duo Brady : en 2020, pendant l'un des confinements, ils ont conçu l'excellent documentaire Et le violoncelle dans tout ça ? qui repensait la vie après la crise sanitaire, et il y a dans La vie d'après  quelque chose de cette histoire, dans la douceur du morceau "Le voyage des Titans" ou dans la langueur de "Glass on Mars". Les musiciens discutent entre eux, ne s'affrontent jamais. Se lient, s'étreignent.. Il y a indubitablement beaucoup de tendresse dans ce disque. Elle est communicative.
Avec le bien nommé "Systole", qui lorgne sur la rythmique et évoque la basse lourde d'un dispositif électronique sur un simple rebond de l'archet sur les cordes, on songe à un autre duo, qui nous fait voyager dans les contrées du folklore imaginaire, les amis de Rhizottome. Une direction que l'on retrouve plus loin avec la belle "Valse en Arcadie", déliée, légère et raisonnablement sucrée.
Une discussion au coin du feu.
Car le violoncelle évoquera de tous temps la voix humaine, et c'est avec beaucoup de chaleur que le duo Brady utilise cette artifice pour nous chuchoter au fond de l'oreille.
Un instant de douceur bienvenu.
 

Et une photo qui n'a strictement rien à voir.

 

12 février 2024

Print - Secrets for You

25 ans après, l’orchestre organique, diablement organique du saxophoniste Sylvain Cathala ne cesse de relever le défi de creuser un sillon personnel, intuitivement poétique en compagnie d’amis fidèles, rompus comme lui à une musique aux rythmes impaires, où la chaleur se cache souvent dans la douceur d’une nuit sans lune.
Oui, Print est une musique de nuit, c’est ce qui est écrit ici depuis des années, et ce n’est pas « Fifteen Minutes to Change » et l’échange entre la contrebasse de Jean-Philippe Morel, très en vue dans ce nouveau disque, et la batterie de Franck Vaillant qui dira le contraire.
La musique de Print, douce et toujours fluide trouve dans sa base rythmique des ressources inouïes. Elle parviennent à éviter les redites, et si l’eau a coulé sous les ponts depuis le Nordic&Baltic Tour, c’est d’abord parce que les musiciens ont appris à se trouver sans avoir besoin de se chercher, à l’image de « Eleven Dimensions » dont les ruptures patinées et l’élégance des saxophones (le fidèle Stéphane Payen se joint à Cathala pour conquérir un espace bien ouvert par le clavier très atmosphérique de Benjamin Moussay) forme sans doute le morceau le plus intéressant de ce Secrets for you.
D’abord parce que Sylvain Cathala s’éloigne sans vraiment perdre de vue son tropisme urbain pour une musique plus contemplative, sans perdre de vue l’énergie anguleuse qui réside souvent dans la batterie de Vaillant. Son échange avec le saxophoniste, où l’on retrouve la dynamique géométrique des voies illuminées tracées au cordeau tranche avec les rêveries de Moussay. C’est la clé indéniable de ce nouvel album ; c’est ce qui en fait le sel nouveau.
Si patine il y a dans cet album et dans la musique de Sylvain Cathala, c’est justement dans l’intégration de cette nouvelle voi(x)e pour Print. Son entente avec Payen est absolument télépathique, et les discussions entre les deux soufflants sont toujours constructives et apaisées, notamment dans la très belle suite « Study » qui ouvre là aussi de nouvelles perspectives pour l’orchestre.
Les chemins trouvés par Cathala pour donner de nouvelles perspectives à Print, pour changer l’empreinte et lui donner plus de profondeur. Les phrases complexes des saxophones trouvent du soutien dans le piano de Moussay, toujours prompt à élargir les perspectives. Il y a dans la musique de Cathala une forme de discrétion revendiquée qui souligne davantage peut-être les instants brillants, à l’instar de cette magnifique prise de parole de Morel dans la quatrième partie de « Study ».
Un quart de siècle après avoir enchanté nos oreilles, Print continue à dessiner les plans d’un terrain connu dont on ne se lasse guère, trouvant toujours de nouvelles manière de laisser une trace dans le monde clair-obscur dans lequel ses musiciens évolue.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

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12 décembre 2023

Les meilleurs disques 2023

C'est désormais la tradition, et la date du 12 décembre à 12h12 s'est désormais imposée : voici donc les 10 disques qui m'ont le plus marquée en 2023, ainsi que quelques accessits habituels. Ca fait suite à la non moins traditionnelle liste de 25 disques "de l'année" qui la précède -et en toute logique, les 10 en font partie-

2023 fut une année très riche : celle des confirmations, avec notamment un remarquable solo de Camila Nebbia, ou bien sûr l'incroyable travail "électrique" de Wadada Leo Smith et la nouvelle splendeur de Guillaume Grenard. Mais sans conteste, c'est Silke Eberhard qui est la musicienne de l'année, tant avec la découverte Céline Voccia que dans le Trans-Europe Express de Hans Lüdemann !

Lilly Joël – Plays The Organ

Hans Lüdemann TEE – On The Edges 1, 2 & 3

Wadada Leo Smith & Orange Wave Electric – Fire Illuminations

Guillaume Grenard – Nosferatu, une symphonie de l'horreur

Illegal Crowns – Unclosing

Silke Eberhard & Céline Voccia – Wild Knots

Steve Lehman & ONJ – Ex Machina

Camila Nebbia – Una Ofrenda a la ausencia

Robin Antunes – Mons Tumba & Trablos

Sylvie Courvoisier – Chimarae

 

Ressortie de l'année : Over-nite Sensation 50th Anniversary

Label de l'année : Budapest Music Center (BMC)

 

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10 novembre 2023

Stéphane Payen - Baldwin en transit

James Baldwin est un héros. James Baldwin est un phare.
Voix et plume africaine-américaine parmi les plus acérée et les plus respectée, son rapport à la musique a toujours été un sujet d'étude. Passionné par l'écrivain, le saxophoniste de Thôt ou de Print Stéphane Payen a depuis longtemps le désir de rendre hommage à l'écrivain ; on le sait depuis toujours, le musicien proche du collectif Onze Heures Onze a toujours aimé confronter les rhizomes les plus profonds du jazz avec une expression très contemporaine.
Alors qu'ici nous avions adore All Set, le disque avec Ingrid Laubrock dont les notes de pochette furent écrit par votre serviteur, c'est sans doute avec Baldwin in Transit que Stéphane Payen réalise l'un de ses projets les plus personnels.
C'est au festival Jazzdor que la création de Baldwin en Transit a vu le jour, mais il transcende depuis bien longtemps maintenant la musique de Payen : comme l'écriture de Baldwin, et peut-être dans un passionnant jeu de miroir, le saxophoniste a un paradigme résolument transatlantique. Baldwin arrive en France en 1948, et cette histoire est largement documentée, la musique de Payen est un constant aller et retour qui dans la remarquable "Part. 2", la flûte de Sylvaine Hélary et la guitare omniprésente de Marc Ducret s'installe néanmoins dans une esthétique très européenne.
"Call Me Jimmy" dit la poétesse Tamara Walcott pour mieux tutoyer le propos de l'écrivain ; plus loin, dans la remarquable "Part. 6", elle passera au français sur une flûte d'Hélary : "Je suis ténèbre et doute, je suis l'échappée" dit-elle, dans le brouillard ardent du violon de Dominique Pifarély. 
On comprend alors, ce que le vieux compagnon de Stéphane Payen, Mike Ladd, souligne dans la très belle "Part. 3" avec Dominique Pifarély. Un violoniste omniprésent, d'une importance cruciale qui réitère en signant "Rester Etranger", sorte de manifeste de l'album : Plus que Baldwin, placé en référence, c'est de l'exil dont il est question.
Du Départ, de l'Altérité.
A Ladd et Walcott s'ajoute Jamika Ajalon, qu'on entend notamment dans la très belle et tendue "Part. 4" ("You don't know what is like to be black and a man"...) qui s'ouvre sur l'une des rocailles de Marc Ducret. Trois poètes qui ont quitté les Etats-Unis pour l'Europe, trois voix écorchées qui font écho à Baldwin, dont Payen à l'intelligence de ne pas solliciter les textes.
L'égratignure traverse le temps, et c'est toute la réussite d'un Stéphane Payen qui se met absolument à la disposition de ses musiciens. Il y a, dans cette musique intense et parfois tortueuse, toutes sortes d'unisons et de petites clairières de quiétudes où son alto fait merveille.
C'est encore un disque important que nous propose le label Jazzdor Series. Dans son évocation de James Baldwin très théatralisée, Stéphane Payen frappe un grand coup, avec un propos très pertinient et d'une grande poésie.
Un grand plaisir.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

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30 octobre 2023

ONJ Fred Maurin + Steve Lehman - Ex Machina

Il est des disques comme ceux-ci, on sait tout de suite. Nul besoin de chercher des raisons autre que ceux du cœur, et pourtant il y en aurait mille : Ex Machina, le nouvel album de l’Orchestre national de Jazz est une épiphanie parce qu’elle combine à la fois l’intelligence et la pertinence d’un travail recherché et raffiné et la côté absolument tripal et direct d’une musique sensible et rusée. Jazz et Musique Spectrale. Puissance du saxophone Alto de Steve Lehman et direction brillante de Fred Maurin.
Ceinture ET Bretelle
Du saxophoniste étasunien, on suit la carrière depuis de nombreuses années, aux côtés de Vijay Iyer ou de Rudresh Mahanthappa, sa proximité avec Anthony Braxton, ou encore avec son formidable octet Mise en Abyme. Sans oublier son magnifique travail autour du Hip-Hop. Du second, on aime tant la diversité et la synthèse de son ONJ et ses expériences autour de Ping Machine. Sans oublier son approche du Metal et sa passion pour Frank Zappa.
Poire ET Fromage.
Avec Ex Machina, et son ONJ renouvelée où l’on s’ébaudit devant un solo de la contrebassiste Sarah Murcia sur le très beau « 39 », les deux artistes se font encore plus synthétiques et gourmands qu’ils ne le furent déjà : Fruit d’un travail avec l’IRCAM et du logiciel Dicy2, les quinze pupitres de l’ONJ échangent avec une intelligence artificielle générative (voir les interview de Steve Lehman et Jérôme Niska sur Citizen Jazz) pour construire un matériel aux rythmiques profondes, étrangement soyeuses où les vibraphones de Stephan Caracci et Chris Dingman ont une place à part, comme dans l’incroyable « Jeu d’Anches » qui permet d’entendre un solo de Jonathan Finlayson, entendu dans certains orchestres de Mary Halvorson.
On est globalement étourdi par le talent de l’ensemble des solistes et leur implication ; dans « Speed Freeze (Part 1) », peut-être la plus spectrale de toutes les approches de cet Ex Machina, c’est rien moins que Christiane Bopp et Catherine Delaunay qui encadrent Steve Lehman dans les solos pour deviser avec l’entité électronique, où plutôt composer avec cette présence, cette masse de son comme une nouvelle dimension ; organiser un discours et une pâte orchestrale avec l’imprévisible champs des machines. On ne peut s’empêcher de penser à ce que développe Braxton dans son langage Diamond Curtain Wall et le logiciel SuperCollider, ou même sur son interrogation sur l’espace-temps avec Echo Echo Mirror House. A ce titre, « Le Seuil », en deux parties finales, ou « Les Treize Soleils » sont les points culminants d’un exercice fascinant. Dans ce dernier morceau, on retrouve parmi les solistes la talentueuse Fanny Ménégoz à la flûte. On n’a pas fini d’ailleurs de parler d’elle !
Car Ex Machina parvient à donner vie à la machine. Une vie comme une carnation : rien n’est plaqué ou posé, tout est vivant et palpitant, il y a des dynamiques nouvelles, des niches et des trouvailles, et une joie de chaque instant. On perçoit avec ce disque que Fred Maurin est allé au bout de ses idées, qu’il a perpétué ce qu’il avait déjà en germe au sein de Ping Machine. Il ne joue pas de guitare ici, les vents dominants le discours, mais il guide une synthèse qui fera date dans l’Histoire de l’ONJ, aux côtés du Berlin d’Olivier Benoit ou du A plus tard du regretté Denis Badault. Une réussite totale d’une ambition rare, comme on les aime. Un disque qui peine à quitter la platine.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir

 

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7 septembre 2023

Pomme de Terre - L'Apocalypse selon St Niels

On peut, en quelques mots, retrouver toute la personnalité du trompettiste Aymeric Avice dans ce très beau Pomme de Terre que l'excellent label Jazzdor Series nous propose.
La discrétion d'abord, et le caractère affable. Des clés sont exposés par le musicien dans une interview qu'il m'avait donné pour Citizen Jazz, elles apparaissent ici clairement dans le maelström d'une musique farouche, puissante, qui rappelle les expérience de Jean-Louis, un premier trio du COAX Collectif qui reste une référence pour les power trio libres et électriques : Pomme de terre se dit Ziemniak en polonais, et c'est justement le nom de son batteur, l'orageux Etienne Ziemniak, qu'on connait pour sa collaboration au Daumenkino Trio et à Vocuhila.
Ici, Ziemniak a toute latitude pour faire parler la poudre : dans le "chapitre V" de cet Apocalypse selon St Niels, il peut donner cours à toute sa rage, jouant sur la crête des cymbales sans sembler connaître d'essoufflement. La batterie est la racine de Pomme de Terre, son tégument à tout le moins, ce qui permet à Avice de jouer avec ce détachement apparent qui est en réalité le tison de l'incendie. Tout autour de lui inspire le chaos, et la trompette vogue en douceur ("Chapitre VI"). Comme le dit Philippe Ochem dans les notes de pochette, le jeu d'Avice a des réminiscence de Free Bop, et il parvient à prendre le flux de l'électricité alentour sans se permettre d'être référentiel. Souvent, cette musique semble venir d'un endroit inédit, inexploré tout à fait personnel, comme ce "Chapitre VII" qui fait vraiment songer à ce qui se développait dans Jean-Louis.
Notamment lorsque la trompette s'électrifie dans une vulgate zappaïenne qui n'est jamais très loin, au risque de l'électrocution.
L'électricité de Pomme de Terre (qui est par ailleur un objet conducteur, on en avait fait l'expérience au collège) n'est pas un vain mot. Avec Ziemniak et Avice, ce sont deux guitares qui viennent apporter le chaos. On se souvient qu'au départ, l'orchestre était un trio avec Julien Desprez, c'est désormais un quartet avec Richard Comte et Niels Mestre. On connait le premier pour son label .nunc et pour son implication dans la musique improvisée, on avait croisé le second dans l'ARBF de Yoram Rosilio. Ce sont les maîtres des textures, de ce qui permet à l'orchestre de partir très loin et de chercher la transe, ce qui est patent dans "Chapitre VIII" et qui se répercute tout au long de l'album... Y compris lorsqu'à la toute fin le flux semble se tarir, comme un souffle à reprendre.
Il n'y a oas de combats entre les guitaristes, très complémentaires. Pas de rodomontades, juste la volonté de fusionner l'énergie. S'il s'agit de l'Apocalypse selon St Niels, c'est que Mestre n'y est pas étranger. C'est vrai que dès le "Chapitre I", c'est lui qui porte le fer, mais la dynamique est diablement collective, et incroyablement généreuse.
Aymeric Avice est un artisan discret doublé d'un amoureux de l'improvisation. Cette Pomme de Terre lui ressemble, nourrissante et basique, pleine de surprise et de plaisir. On en redemande. 

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2 juin 2023

Novembre - Encore

Il faut se pincer pour se rendre compte que Calques, le premier album de Novembre date de 2016.
Sept années de réflexions pendant lesquelles ce petit monde a bien grandi, et le groupe a beaucoup évolué : la raison en est d'abord le remplacement de la batterie, Elie Duris ayant cédé sa place à Sylvain Darrifourcq, ce qui se perçoit sensiblement jusque dans la construction des morceaux, toujours conçu par le clavièriste Romain Clerc-Renaud et le multianchiste Antonin Tri-Hoang.
Dans l'improprement nommé "Miniatures", puisqu'il s'agit du morceau le plus long de ce double-album, le jeu si particulier, si identifiable de Darrifourcq, cette petite mécanique subtile qui porte au coeur transporte Novembre dans une autre dimension. Une identité nouvelle, paradoxalement plus proche de l'univers des autres musiciens. On perçoit notamment, et ce jusque dans le chaos défilant dans "Continuum" et son idiome Free revendiqué, toujours aussi proche de l'esthétique d'Ornette Coleman, que la contrebasse de Thibault Cellier s'éclate avec un tel batteur. 
Ce qui tombe bien, puisque nous aussi.
Il en est d'ailleurs de même pour Antonin Tri-Hoang, qui habite littéralement cette première partie d'album et qui semble souvent en fusion. Dans un propos très collectif, si le soufflant est très en avant, c'est qu'il est la courroie de transmission du reste du quartet et celui qui peut le plus jouir de la liberté induite par la mécanique de la base rythmique.
Clerc-Renaud n'est pas en reste, qui s'offre quelques belles échappées, jouées sans apprêt, dans le flux, avec Cellier et Darrifourcq dans le rôle banderilles. On comprend le titre Encore, parce que cette énergie est réclamée, et pleinement satisfaisante. L'énergie ne fait pas tout d'ailleurs, comme en témoignera le doux final de "Petit Marin" ou Thibault Cellier nous arrache de profondes émotions dans un solo d'une douceur rare.
Pour revenir à "Miniatures", ce qui est intéressant, et ce qui justifie le titre, c'est cette capacité à multiplier les petites cellules courtes et les bifurcations, sans pour autant en faire un alpha ou un omega. S'il y a quelques incursions zorniennes, elles restent anecdotiques et viennent nourrir une réflexion plus globale, qui donne à Encore toute sa raison d'être.
Car on le pressent, Encore est une sorte de panégyrique de la tournée, de la scène, du spectacle. 
Encore, comme un rappel.
C'est la seconde partie de l'album, le deuxième disque travaillé avec l'électroacousticien du moment, Marc Baron, qui nous en donne les clés. Pièce en deux parties, il se présente comme un carnet de tournée du quartet, ou du moins un cahier de souvenirs. On y entend Elie Duris en 2018, quelques souvenirs de Sons d'Hiver et du Field Recording. On voyage les yeux fermés.
On tourne, avec eux, avec beaucoup de poésie. Paru sur le label Umlaut qui revendique ainsi son attachement aux musiques aux confins du jazz et de la musique contemporaine, Encore est une des belle surprises de cette première partie d'une année 2023 plutôt enthousiasmante.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

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26 mai 2023

Nicolas Stephan - Null

Nicolas Stephan est un musicien qui se pose toujours la question du fond avant celle de la forme ; c’est vrai depuis Unklar, un projet qu’il a mené conjointement à une réflexion globale sur la solitude et l’éparpillement du temps dans De la violence dans les détails, un livre accompagné d’une bande son. Mais il arrive en musique que la question de forme soit aussi celle du fond : ainsi est né Null, projet des plus personnel du saxophoniste du Surnatural Orchestra.
Une œuvre soliste mais pas tout seul, format de plus en plus usité et qui répond en plein aux préoccupations de son ouvrage. En convoquant des ombres, en l’occurrence des vinyles travestis ou travaillés dans leur trame (rayés, scotchés, désaxés...) pour créer des boucles cabossées qui viennent perturber une quête du son.
Une pureté troublée, comme pour mieux fendre l’armure.
Car il y a dans la musique de Null, troisième titre d’album en allemand après Paar Linien paru en 2021, une démarche qui n’est pas seulement oulipienne (sur « Arbres et Rivières », il joue de l'alto avec un bec de ténor, entre autres contraintes), mais bien plus profonde.
Une quête de la vérité. Null, c’est le zéro ; ce n’est pas un simple concept mathématique, c’est aussi un point de départ, une page blanche que l’adversité va modeler. Au début, dans « Rouge Zéro », le son du ténor est plein, très rond, il fouille dans les profondeurs de l’émotion.
C’est la face A du disque, pensé forcément comme un vinyle qui est à la fois le sujet et le support et permet de se livrer, seul avec le silence. Puis vient la polyphonie, la réponse d’un écho créé par le re-recording qui va initier un décalage, amplifié par une boucle pleine de surprise. Ici, ce sont les artifices qui fondent la réalité, comme souvent le carambolage est fécond, et contraint Stephan a aller plus loin dans l’introspection. On entre de plain-pied dans l’imaginaire de l’intime.
Paru sur Le Petit Label, Null est une belle facette de l’œuvre de Nicolas Stephan, absolument complémentaire des autres, un voyage intérieur. On ne sera pas surpris de retrouver le batteur Sébastien Brun en invité sur le très beau « 33 » qui vient dénicher une rythmique dans les craquements d’un vinyle volontairement rayé et pris au hasard dans une collection anonyme.
Il y a là, comme chez Emilie Škrijelj et ses disques déformés une volonté d’aller chercher le son dans sa dimension physique et inattendue. Null est empreint d’une magie étrange qui dit énormément de son auteur, avec beaucoup de poésie.

 

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20 mai 2023

Alban Darche & Loïs Le Van - Les Mots Bleus

Il faut s'en tenir à un axiome : il n'y a pas de mauvaises chansons si elles peuvent être travaillées, triturées, ralenties par un orfèvre du jazz et un chanteur à l'encan.
Prenez ainsi Alban Darche et une chanson de Radiohead, on peut se dire que partant, le challenge est d'ampleur. Radiohead, c'est pédant et insupportable, mais Alban arrive à mettre "Fake Plastic Trees" à sa main avec Loïs Le Van à la voix et une troisième lame, la harpiste Emilie Chevillard. Il suffit d'un souffle à l'unisson du chanteur et quelques cordes parsemées pour que ce soit le coeur de la chanson qui apparaisse. Un joyau simple, presque sobre.
Quelque chose d'imaginable à Thom Yorke.
Les Mots Bleus est un petit bijou inattendu ; voici des années que j'écoute les album de Loïs Le Van en me disant qu'il a un univers formidable mais que je peine à y pénétrer pleinement : une voix douce, traînante, au timbre intrigant. Il me fallait une clé : cette clé c'est le saxophone ténor d'Alban Darche, qui travaille avec Le Van dans le Mirifique Orchestra et qui lui propose ici le plus beau des jeux : visiter l'intime de la chanson "pop" avec un invité tournant. 
Un Alban Darche qui continue ainsi son travail sur la musique populaire entamé avec son Orphicube.
Un trio inconnu qui modifie l'approche particulière sans changer le travail global. Ainsi, parmi les invités, on trouve Sylvain Rifflet dans le classique de Broadway "I'll Seing You" où il propose ses slaps reconnaissables entre mille, mais aussi Yonathan Avishaï au piano sur une fascinante interprétation des "Mots Bleus" de Christophe qui donnent le nom à l'album.
Des Mots Bleus, des mots dont la scansion même par Loïs Le Van en change la structure musical et par là même son sens profond. De la bluette écrite par Jean-Michel Jarre, on oublie la version pleurnicharde pour une version assez solaire, gonflé d'une forme de colère où Darche laisse la voix et le piano très en avant.Il y a dans les choix musicaux des vrais prises de risques et des réussites profondes : on est heureux par exemple de voir Paul Jarret et sa guitare s'attaquer au "Old Man" de Neil Young dans une version très lumineuse ; il en est de même pour "Si J'étais un homme" de Diane Tell qui connaît ici une de ses plus belles versions avec la guitare de Nelson Veras.
La chanson est belle, elle prend une autre dimension ici avec une approche très caressante de Darche qui s'empare du thème pour laisser le guitariste enluminer le reste. On le disait, la preuve formelle d'une chanson qui fonctionne, c'est cette capacité à s'en saisir sans s'en moquer, et que ça marche toujours.
CQFD, sur la plupart des morceaux.
Oui, même "Karma Police".
La plus belle réussite des Mots Bleus, cela reste sans conteste la reprise de "Don't Speak" de No Doubt/Gwen Stefani, avec de nouveau un guitariste, en l'occurence Alexis Thérain. Il y a dans la voix nonchalante de Loïs Le Van quelque chose d'idéal pour cette bluette qui là aussi trouve des habits neufs. Le travail rythmique d'Alban Darche y est parfait, mais la structure générale de la chanson est tenue par un chanteur dans son exercice que l'on imagine favori.
Paru chez Yolk, Les Mots Bleus fait partie de ces disques qui restent sur la platine et que l'on vient picorer avec plaisir. Une vraie réussite.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

25-Fussgeher Achtung

12 mai 2023

Papanosh - A Very Big Lunch

Il s’agit de faire avant toute chose une confidence : avant de prendre en main le nouvel album de Papanosh, je n’avais jamais lu de Jim Harrison. C’est idiot et totalement surprenant de la part d’un amoureux de la « Littérature Américaine des Grands Espaces »™ comme moi, mais c’est ainsi.
Entre la poire et la soif, j’ai donc décidé, entre deux écoutes de A Very Big Lunch de me pencher sur l’œuvre du rustre barbu avant d’écrire ces lignes, ce nouveau disque écrit par le claviériste Sébastien Palis étant entièrement dédié au romancier américain, à commencer par son titre, Un sacré gueuleton, hymne hédoniste s’il en est.
Sur le siège passage de la Ford Taurus qui me conduisait dans le « Nord Michigan » et ses chorus de soufflants (remarquable alchimie entre Raphaël Quenehen et Quentin Ghomari), j’ai compris.
Car on peut être vite surpris par le nouvel album de Papanosh, par cette esthétique et ses abords plus sages, loin de Prévert et de Mingus, ses passementeries chorales et ses douceurs poétiques. Le piano de Palis, les baguettes de Jérémie Piazza qui cherchent l’espace, tout n’est qu’une autre façon de chercher la liberté.
Une façon peut être plus mature ; par conséquent plus profonde.
Les petits jeunes des Vibrants Défricheurs ont quarante ans maintenant, et le Jim Harrison qui conduit la Taurus est à peine plus âgé que moi.
Dans cette musique de Papanosh, il y a le temps qui passe et le goût du voyage ; après une intro très colemanienne, tendance ornette, où Jérémie Piazza et le contrebassiste Thibault Cellier font parler la poudre, « un bon jour pour mourir » bifurque : Sébastien Palis et Raphaël Quenehen nous emmènent ailleurs, dans un univers moins brut, plus tortueux, éclairé par la trompette de Quentin Ghomari.
Rien n’est univoque, c’est ce que l’on perçoit à la lecture d’Harrison. C’est ce que parvient à retranscrire le quintet, sans rien perdre de sa poésie, et même avec un certain lyrisme (« Chien Brun ou Cellier est fantatique). Il y a dans l’approche de l’écriture de Palis quelque chose de doux qui colle bien à « Dalva », où le saxophone va chercher des émotions enfouies. Quelque chose d’élégant qui fait penser par moment à des figures du jazz français auquel on ne les aurait pas forcément associé, de Christophe Marguet à Guillaume de Chassy (« Westward Ho »), mais qui coulent dans leur oreilles depuis toujours et n’oblitère en rien un dadaïsme circonstacié.
Ainsi, Papanosh n’a jamais cessé de voyager. N’a cessé d’aller chercher l’altérité. Les balkans de leurs prime jeunesse ou les danses des Terres de Feu ne cachent plus leur fascination initiale, c’est d’une Amérique fantasmée, sublimée. Un quartier de Nueva York, entre Little Odessa, Lower East Side et East Harlem…
Plus simplement romanesque. Une Amérique à eux, comme il y avait eu Mon Amérique à moi, album antédiluvien de Quenehen et Piazza, plus connus sous le nom de Petite Vengeance.  On bouffe des grands espaces dans A Very Big Lunch, et on n’est jamais rassasié. On a le choix des plats, du blues terrien de « Nord Michigan » jusqu’au très naturaliste « Faux soleil ». Papanosh parvient à nous emporter dans leur monde.
Une Odyssée Américaine est un disque très réussi qui compte beaucoup dans ce début d’année.

13-Raph

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