Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Sun Ship

Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
Derniers commentaires
Newsletter
32 abonnés
Archives
28 novembre 2024

Camila Nebbia & Angelica Sanchez - In Another Land, Another Dream

Poser comme postulat que Camila Nebbia est l’une des meilleure improvisatrice de sa génération. Certes, on n’est pas à la foire au boudin, il ne s’agit pas de peser son musicien et de comparer les prix, mais convenons que depuis plusieurs la saxophoniste argentine enchaîne les disques -et les collaborations- absolument excitantes.
Jamais nous n'avions parlé de Camila en ces pages, favorisant un travail sur le long terme sur Citizen Jazz.
J’ai la chance d’avoir pu suivre ses aventures très tôt, avant son arrivée en France puis en Suède avant son installation en Allemagne, et on a le sentiment d’une progression qui n’a pas de limites ; le son de son ténor est puissant sans être dévastateur. Il y a dans son jeu une sensation d’équilibre, voire de droiture : Camila sait où elle va et les tangentes qu’elle prend on l’art de toujours aller vers l’avant.
C’est ce qui impressionne d’abord chez Camila : le son. Dans ce présent album avec Angelica Sanchez paru chez Relative Pitch, l’un des labels les plus excitants de la période, on peut goûter ce timbre délicieusement sablonneux dans le très beau « Traces », où le ténor semble entraîner un piano aussi agile que puissant dans une course tortueuse. Jamais cela n’explose dans une colère erratique, la musique est contenue, incroyablement bien construite, mais pleine d’une fougue entière.
Ces deux musiciennes se sont bien trouver, la pianiste New Yorkaise à la discographie tout aussi hallucinante (elle est membre de l’Exploding Star Orchestra de Mazurek, on l’a entendu avec Marylin Crispell ou dans le Tri-Centric Orchestra de Braxton en 2011… De la même façon qu’on rêve secrètement d’entendre Camila Nebbia aux côtés de Braxton, on constate que Sanchez est passée par ces fourches caudines-ci) a bien des points communs avec Camila Nebbia.
La grande rigueur d’abord, et ce talent pour bâtir ; sur nombres pochettes de ses albums, et In Another Land, Another Dream n’y fait pas exception, il y a des bâtiments. Des maisons, des immeubles. Il y a dans la musique de Sanchez la passion de l’architecte dont la nervosité serait l’aplomb. Ecoutons « Vislumbre », et ce sentiment de ligne droite et de perspective qui naît pourtant d’un crayonné fébrile : alors que tout est d’une folle intensité, ce qui en ressort est une netteté sans appel. A l’instar du reste de l’album, le morceau est puissant et vertigineux.
Une des grandes qualité de Camila Nebbia est bien de savoir instaurer tout de suite une complicité avec ses comparses. Le jeu très percussif de Sanchez aurait pu inviter à la surenchère, mais Nebbia propose l’agilité. « All Rivers at Once », en toute fin d’album est à ce titre exemplaire ; tout commence dans la douceur et le souffle, incite le piano à se faire plus concertant, mais quand la vague d’une main gauche fracassante tente de prendre le dessus, Camila hausse le ton d’une pirouette, accompagne sans heurter.
Le duo aurait pu se contenter d’une joute, d’un pugilat sans limite, il préfère la construction commune, la joyeuse fondation entropique. Il en résulte un des beaux souvenirs de l’année, aux côtés d’autres disques de Camila Nebbia dont on pourra dire que 2024 fut une fête. C’est aussi un disque d’équilibre voire d’équilibriste au sommet de la musique improvisée. Inconditionnellement l’un des grands moments de l’année.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

20 novembre 2024

WOO - Hoo-Lala + TOC - Psychedelic Jelly

Batteur fin et très inventif, voici des années que nous suivons le lillois Peter Orins dans ses aventures en grand orchestre ou même en solo. L’un des ensembles qui a pignon sur rue dans sa discographie est bien entendu TOC, dont nous fêtions il y a quelques mois l’anniversaire, et dont nous reparlerons en fin d’article. Peter Orins fait partie du collectif Muzzix, dont l’imposante discographie est publié par Circum, un label auquel je suis fidèle, ici autant que sur Citizen Jazz.
Depuis quelques années, Circum et Muzzix jettent un œil expert sur la scène polonaise, qui a toujours été un vivier palpitant du jazz et des musiques improvisées européennes. On a ainsi entendu le batteur avec la saxophoniste Paulina Owczarek en duo, pour une improvisation aux confins du sensible, de l’infiniment petit.
Autant dire qu’avec le présent trio Woo et son titre prémonitoire Ooh-La, l’ambiance entre Orins et Owczarek qui se retrouvent ne sera pas pareille. La raison en vient peut être de la pianiste Christine Wodrascka qui vient apporter son jeu puissant, tonitruant parfois même au tiers du morceau « Why Not ? » qui constitue la large majorité de ce premier album.
Car pour Owczarek comme pour Orins, on retrouve des gestes familiers : un usage des percussions très coloré, cherchant à sculpter la masse du silence avant de rechercher la pulsation, et des jeu de souffle en bruit blanc et des slaps de saxophone du côté de la polonaise. Mais voilà : Wodrascka est un volcan et un ouragan à la fois, sa frappe irréfragable emporte les autres sons dans un gigantesque -et excitant- maelstrom que seul la batterie d’Orins parvient à maîtriser.
On connaît Christine Wodrascka pour son travail avec Sophie Agnel, Daunik Lazro ou Ramon Lopez. Elle était il y a quelques années dans l’étourdissant Sangliers avec Peter Orins et Dave Rempis, et l’on retrouve ici ce goût pour l’énergie et la tension permanente. Le dialogue entre piano et batterie, souvent fait d’échanges et de jeux de masques est la clé d’un album puissamment organisé, même si la complicité d’Orins et Owczarek est le fruit d’un vrai travail au long cours.


C’est ainsi qu’on retrouve Paulina Owczarek avec Peter Orins dans TOC, presque comme une évidence. Avec Psychedelic Jelly, l’orchestre qui, si je sais compter, fête ses dix-sept ans a trouvé avec la saxophoniste l’occasion d’aller visiter d’autres contrées sans rien perdre de ce qui fait son charme : des rythmes et des ambiances parfaitement déstructurés au coeur d’un électricité qui ne demande qu’à sourdre.
C’est intéressant d’utiliser le terme psychédélique pour cette musique qui se nourrit en background depuis des années d’un prog-rock suffisamment bien compris qu’il n’est ni sanctifié ni joué, juste utilisé comme baignade des rhizomes, pour faire de nouvelles boutures. Sur le premier morceau, « Flapjack Octopus », le saxophone violemment acide se sert de ce climat pour jouer avec le clavier de Jérémie Ternoy et la guitare prête à bondir d’Ivann Cruz.
C’est extrêmement malin et tout à fait jouissif.
Il y a eu du chemin depuis You Can Dance (if you want it), et l’intelligence du trio est de renouveler une recette qui use pourtant des même ingrédients. Le jeu de Peter Orins est ici nerveux et insatiable, et c’est lui qui entraîne une mécanique où les boucles succèdent aux lignes de fuite dans un propos qui monte continuellement en énergie, jusqu’à un point de rupture qui sait être aussi un point de fusion. C'est une configuration qu'on avait pu rencontrer avec Dave Rempis, mais le jeu du saxophoniste s'approchait concrètement de celui du boutefeu.
Le travail d’Owczarek est ici remarquable : il consiste à être présente de manière presque linéaire quelque soit l’état de TOC, jusqu’à sa plein puissance électrique, comme une ligne de tangente qui donne beaucoup d’espace et offre une impression de flottaison tout à fait troublante. Deux disques qui scellent une vraie cohésion de Lille à Varsovie entre la saxophoniste et le batteur.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

26 octobre 2024

Modney - Ascending Primes

Nouveau phénomène de la scène étasunienne, le violoniste Joshua Modney, dont le nom de scène a fait l’abstraction de son prénom est l’une des dernières lames du renouveau des cordes de l’autre côté de l’Atlantique.
Avec Citizen Jazz, je l’ai largement documenté, avec Jessica Pavone ou Tomeka Reid, bien entendu, qui font figure tutélaire dans cette petite famille, mais plus surement avec Erica Dicker, Mariel Roberts, Gabby Fluke-Mogul ou Joanna Mattrey, cette dernière étant sans doute la pépite ultime de cette scène majoritairement new-yorkaise par une science ultime du geste.
On retrouve bon nombre de ces musiciens sur Ascending Primes, un album de Modney paru chez Pyroclastic Records à envisager comme une forme de panorama. Voyez plutôt : tout commence avec « Ascender », solo très concertant de Modney au violon qui joue sur le fil d’une dissonance tutoyée, qui tient en éveil. Le violoniste joue avec l’électricité, explose sans rien perdre en route, comme tout un combat intérieur.
Le résultat est assez puissant et s’inscrit dans un travail qui gagnera en consistance à mesure que des comparses le rejoignent, à l’image de « Everything Around it Moves », joué avec un quatuor à cordes augmenté du piano travaillé aux entrailles de Cory Smythe. Là aussi, la tension est partout, entretenu par des cordes joué comme des coups de fouets (Mariel Roberts centrale au violoncelle, Kyle Armbrust à l’alto… On avait entendu ce dernier chez Ches Smith, nulle surprise) et adouci, transporté par un jeu très atmosphérique de Smythe.
Les deux musiciens travaillent depuis longtemps ensemble, on avait entendu Modney sur Smoke Gets in Your Eyes, mais sur ce morceau, c’est une autre compositrice auquel on pense. Anna Webber a beaucoup influencé Modney, notamment sur son travail autour de l’intonation juste, le nouveau totem de la composition américaine, et cela se ressent ici. Sans cependant que le propos se perde en démonstration ou oublie une urgence absolue.
Modney reste sur sa crête, et le reste du morceau, le plus long de l’album traverses différents climats sans perdre de sa vitalité. La relation avec Smythe, la capacité de ce dernier à amener le propos de l’orchestre vers une forme de mélancolie, sur une atmosphère nocturne est remarquable, et le talent de Modney est de ce nourrir de cette dynamique
« Everything Around it Moves » est un morceau extrêmement construit, qui transporte et auquel on adhère absolument.
En effet, l’intérêt croissant de Modney pour les compositeurs à cheval sur les musiques improvisées et l’écriture contemporaine se ressent tout au long d’Ascending Primes ; on sait l’intérêt de Modney pour Braxton, lui qui a déjà travaillé avec Ingrid Laubrock sur son gigantesque Dreamt Twice, Twice Dreamt. On ne s’étonnera pas dès lors de retrouver le compositeur et électronicien Sam Pluta, qui a longtemps travaillé avec Braxton sur « Linx » aux atours spectraux.
Mais c’est avec « Fragmentation And The Single Form » que Modney montre tout son talent d’écriture avec une équipe renforcée : Ben Lamar Gay au cornet, Kate Gentile à la batterie ou encore le très braxtonien Dan Peck au tuba ; de tuttis de cordes fuligineux aux lour combat de l’électronique avec les soufflants, la suite en quatre mouvements est sans doute la plus intense, d’autant qu’on retrouve la vocaliste et électronicienne Charmaine Lee (qu’on avait découvert avec Mattrey) comme actrice d’un chaos très ouvragé, où l’acidité des cordes se heurte à une électronique fièvreuse et une batterie puissante.
Dans cette lignée, « Event Horizon » où l’on retrouve Nate Wooley et Joanna Mattrey clôt un album mature et luxuriant qui illustre une autre facette de cet âge doré des cordes américaines qui font d’Ascending Primes l’un des albums les plus important de cette année 2024.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

19 octobre 2024

Le Mirifique Orchestra - Verdi Remix

Quand on s’attache à la voix, la tentation opératique n’est jamais loin.
Quand on s’intéresse, voire qu’on se dédie à l’amour, il ne peut y avoir que l’Opéra. On avait laissé l’an passé le Mirifique Orchestra, fière formation co-animée et pluri-dirigée par le corniste Emmanuel Bénèche et le saxophoniste Alban Darche au milieu des chansons d’amour. On les retrouve en train d’offrir un Remix à Giuseppe Verdi, tout sourire sur la pochette.
D’Aïda, la passionnée éperdue, à Fenena, l’éprise mystérieuse du Nabucco, le thème amoureux est toujours celui du Mirifique. Quant à Verdi, on comprendra à l’écoute de son « Liabiamo ne’lieti calici », où la flûte de Thomas Solet et la batterie de Meivelyan Jacquot donne des airs de baloche primesautier à la Traviata, que la dimension populaire de l’opéra n’est jamais très loin.
À condition d’en retrancher les voix.
On le sait, quand il s’agit de parler de la plus savante des musiques populaires, le jazz et l’opéra sont cousins germains. L’approche de Bénèche et Darche sur cette relecture verdienne, s’inscrit dans une logique respectueuse (amoureuse ?) de ce patrimoine, avec une volonté de lui donner une autre dimension, et de le faire sien : c’est une démarche qu’on connaît bien chez Laurent Dehors où chez Mike Westbrook, et à l’écoute de la pétulante « Missa de Requiem : Dies Irae », on comprend vite qu’on a au Mirifique la volonté de sonner comme un Brass Band, à l’image de ce que Westbrook avait réalisé avec Rossini. Les cors (Pierre-Yves le Masne s’ajoute à Bénèche) et surtout la trompette d’Hervé Michelet jouent un rôle central dans ce Verdi Remix.
Ils permettent au talent d’arrangeur et de compositeur d’Alban Darche de s’exprimer pleinement
.C’est dans « Variations sur la marche triomphale d’Aïda » que Darche s’exprime pleinement, avec une relecture lumineuse sous la direction nerveuse de Bénèche. La force, tout comme pour « La forza del destino », c’est d’imposer aux tubes verdien la dimension cinématographique et raffinée de la patte Darche, ces motifs ouvragée et nacrés, simples, tronquées du thème, qui viennent bâtir un chemin pavé d’images, comme il avait su le faire, avec un autre orchestre pour Poulenc.
Le Mirifique s’impose dans un exercice moins simple qu’il n’y paraît et donne à Verdi la touche d’intemporalité qui manquait peut-être à cette définition du lyrisme moderne.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

15 août 2024

One Another Orchestra

One Another Orchestra, c'est l'orchestre nato par excellence.
Et si l'on joue sur les mots, l'excellence s'entend par tout ses signifiants.
Si l'on continue toujours à jouer sur les mots, ou sur le mot d'ailleurs, dans Another, il y a nato. Mais qui est Her ?
Her, c'est Catherine Delaunay, qui survole ce disque par son talent et sa douceur, par son entente avec François Corneloup au saxophone baryton et Tony Hymas au piano électrique, sans qui nato ne serait pas toujours nato. A peine entre-t-on dans ce "Voices of Nacfa Mountains", qui aurait pu être des Chants d'Itxassou auquel on pense souvent, on sait où l'on est, on retrouve ses repères libertaires et ses envies d'ailleurs, le propos est lyrique et puissant, le piano entraine avec la clarinette sur des tourneries africaines où danse la contrebasse d'Hélène Labarière.
Car le Her d'another, ce pourrait être elle aussi; la contrebassiste est fluide, chantante et combative, comme à l'accoutumée, en témoigne cette lecture magnifique du "Là, on est là" qui a empoigné nos ronds-points et nos manifs; La cohésion de groupe du sextet où le batteur Davu Seru a un rôle de gardien du temps parvient à transcender cet air simple et à lui donner de la profondeur et de l'espoir, ce qui n'est pas forcément l'air du temps.
La dynamique collective de One Another Orchestra est galvanisante, sans tomber dans la démonstration où le passage obligé, ça a toujours été la grande force de nato, elle est ici porté par les six musiciens comme une forme de chimie pure, et d'alchimie folle, qui brille dans ce morceau des faubourgs, mais aussi dans les bastions de résistance espagnols : la "Romance de la Gardia Civil Española" de Garcia Lorca trouve ses plus beaux atours interprétée par Billie Brelok, au delà du rap, donc.
Ce qui donne a One Another Orchestra cette couleur qui évoque immédiatement nato c'est, au delà de tout ce qu'on vient de dire, cette façon de tangenter et de rendre hommage à l'histoire du label, en évoquant Portal dans "La Cecilia" qui est sans doute le point culminant collectif de ce bel album, mais aussi en revenant sur les fées qui ont veillé sur le label, de Jacques Thollot ("Cinq Hops") à Sidney Bechet ("Waste no Tears").
On ne peut que tomber amoureux d'un tel album, qui voyage dans le temps dans les deux sens, à l'image du doc de Retour vers le Futur : à la fois sur un passé où nous sommes tant aimé et dans un futur sans fantasme où l'immédiateté domine et où ce qui compte avant tout, c'est le plaisir d'être ensemble.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

19 mai 2024

Le Grand Schwab - Retrouvailles

Longtemps, le Grand Schwab a fait saliver ceux qui s’intéressent depuis longtemps à la relation particulière qu’entretiennent le contrebassiste Raphaël Schwab avec le saxophoniste Julien Soro, tous deux impliqués dans l’orchestre de Fred Maurin, Ping Machine. Bien entendu, on a retrouvé ces deux là au sein de l’ONJ du guitariste, mais il y avait la promesse d’une aventure à part avec des anciens de Ping et d’autres artistes partie prenante du collectif Pegazz et Hélicon, comme Paul Jarret ou le talentueux Illyes Ferfera, qu’on a par ailleurs entendu chez Ellinoa.
Bref, une petite famille que tout cela.
Retrouvailles, le nouveau disque de Schwab, résume bien ce que l’on entend : un orchestre soudé de douze pupitres qui savent à peu près tout du Grand Format : on y entend par exemple le trompettiste Quentin Ghomari, ou le tromboniste/soubassophoniste Fabien Debellefontaine, qui étaient de Ping Machine. On y retrouve également Sylvain Bardiau, habitué du Sacre du Tympan ou de Journal Intime.
Bref, de la fine fleur qui peut tout autant animer des passes d’armes assez classique (« Il y a urgence ») où Soro sait prendre la direction des mouvements de l’orchestre avec autorité, sans que Schwab ne lui cède la base rythmique qu’il anime avec Ariel Tessier ; les tuttis des soufflants savent conduire un orchestre au point de chauffe sa ns chercher la rupture, même si le pianiste Marc Benham parvient à semer le chaos avec la guitare enflammée de Paul Jarret.
Le Grand Schwab est, somme toute, assez imprévisible. Envisagé d’abord comme un orchestre plutôt sage et joyeux, on sait y déceler une certaine noirceur sous-jacente et un goût pour les ambiances cinématiques et tendues, à l’instar de ce que l’on entend dans « Mouvement Perpétuel », où Florent Dupuis à la flûte et Paul Jarret à la guitare conduisent un mouvement tout doux, joliment répétitif avant qu’il ne prenne des couleurs plus claires obscures, notamment avec le ténor de Guillaume Christophel.
Mais l’ADN de cet orchestre, qui s’enregistre en public parce que c’est important dans le développement de cette musique, c’est une forme de turbulence qui s’exprime avec joie dans « Jolie valse joyeuse », le sommet de cet album. Ça tournoie, ça envoie, ça rigole et ça joue avec les spectateurs sans rien perdre d’une certaine élégance née avec les couleurs de Ping Machine. Ghomari survole le tout avec une fougue qui rappelle Papanosh et les bals des Vibrants défricheurs, mais le travail contrapuntique de l’orchestre donne une profondeur folle au propos. Parfois, dans les climax des soufflants, on serait tenté de penser à la verve libertaire d’un Willem Breuker Kollektief caché dans cette danse déconstruite. Peut on faire meilleur compliment à un big-band de ce genre ? Merci à Raphaël Schwab d’avoir programmé ces Retrouvailles !

 

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

20 mars 2024

Claude Tchamitchian trio - Naïri

On se souvient, peut être, des Traces de Claude Tchamitchian, en sextet, il y a 8 ans qui évoquait l'Arménie de ses ancêtres comme une marque indélébile d'un ailleurs, Ni pays de cocagne, ni obsession, mais une sorte d'identité fugace mais persistante, doux paradoxe dans lequel s'inscrit le contrebassiste marseillais et qui nourrit une musique douce comme un vent d'été.
Avec Naïri, sa nouvelle création paru sur son label Emouvances, Tchamitchian se concentre sur un cœur sans batterie, Une écume portée par la guitare de Pierrick Hardy et la chaleur de la clarinette de Catherine Delaunay, gage d'un aller simple vers la brise. On se souvient de Poetic Power, autre trio de Tcham avec Tom Rainey et Christophe Monniot ; ici, la poésie est plus susurrée, définitivement chambriste ("L'écume des soupirs"), même si le ton peut s'enflammer à l'archet sur la douce mécanique de Delaunay dans "Les Sarmates", incontestablement le morceau le plus brillant de l'album, celui qui voyage le plus aux confins de l'Eurasie et reste gravé dans la mémoire, tant par sa simplicité que par une chaleur immédiate. 
On a l'habitude avec Tchamitchian de se tenir dans la sphère de l'intime. Avec Catherine Delaunay, qui est de tous les bons coups depuis plusieurs années, on va plus loin peut-être, mais avec une pudeur sans pareil : sans jamais se mettre en avant (le chorus caverneux du très beau "Les héros perdus"), Tchamitchian laisse ses comparses dessiner ce qui nourrit sa musique depuis des années. 
C'est cette discrétion et cette volonté de dépasser le simple hommage qui assure un fonctionnement sans redite : on est là dans la question de l'identité, et c'est extrêmement profond ; la clarinette fouaille, la guitare étaye. 
On y plonge avec délice.
Basé sur quatre suites qui semblent agir comme des faces, Claude Tchamitchian décrit, comme le dit si magnifiquement Jean Rochard dans ses notes de pochettes un "géographie de l'espérance". Et c'est définitivement dans cette musique qu'on aime se rendre, quelle que soit le moyen de transport.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

9 mars 2024

Duo Brady - La vie d'après

Tirant leur nom d'un passage parisien où est né le duo et ils organisent chaque année un petit festival, Michèle Pierre et Paul Colomb qui forment le duo Brady sont deux acteurs discret mais bien vivaces de nos musiques. On a entendu la première dans le Sacre du Tympan de Fred Pallem, le second a travaillé avec Diego Imbert ou Sandra Nkake. Les deux violoncellistes ensembles forment un duo plein de poésie et de rêve, où l'instrument est au centre.
On avait connu le duo lors de leur sélection dans le Jazz Migration #7.
Le violoncelle est la vie du Duo Brady : en 2020, pendant l'un des confinements, ils ont conçu l'excellent documentaire Et le violoncelle dans tout ça ? qui repensait la vie après la crise sanitaire, et il y a dans La vie d'après  quelque chose de cette histoire, dans la douceur du morceau "Le voyage des Titans" ou dans la langueur de "Glass on Mars". Les musiciens discutent entre eux, ne s'affrontent jamais. Se lient, s'étreignent.. Il y a indubitablement beaucoup de tendresse dans ce disque. Elle est communicative.
Avec le bien nommé "Systole", qui lorgne sur la rythmique et évoque la basse lourde d'un dispositif électronique sur un simple rebond de l'archet sur les cordes, on songe à un autre duo, qui nous fait voyager dans les contrées du folklore imaginaire, les amis de Rhizottome. Une direction que l'on retrouve plus loin avec la belle "Valse en Arcadie", déliée, légère et raisonnablement sucrée.
Une discussion au coin du feu.
Car le violoncelle évoquera de tous temps la voix humaine, et c'est avec beaucoup de chaleur que le duo Brady utilise cette artifice pour nous chuchoter au fond de l'oreille.
Un instant de douceur bienvenu.
 

Et une photo qui n'a strictement rien à voir.

 

24 février 2024

La Litanie des Cimes - Woodlands

Qu'en est il du blues des cieux ? Demandais-je lors de la dernière sortie de la Litanie des Cimes, le poétique et riche projet du violoniste Clément Janinet en 2021. Le premier album, paru chez Gigantonium, répondait assez clairement à la question : langueur, légèreté et amertume, comme une semi-nuit blanche inquiète et à la fois sereine.
Un éveil au clair de lune.
Le second album de la Litanie des Cimes, glorieux trio où la clarinette d'Elodie Pasquier complète le violoncelle de Bruno Ducret va même peut-être encore plus loin dans cette atmosphère particulière et pleine de l'épaisseur des rêves. Enregistré sur le prestigieux label Budapest Music Center, il bénéficie également d'un écrin idéal pour cette belle musique chambriste.
"Let's Turn !" qui ouvre cet album court, qui regarde au dessus de la canopée, est une sorte de miniature de la volonté de Janinet avec son orchestre : une clarinette balladeuse, qui charrie parfois de lourds torrents dans un motif répétitif, propice à une forme de transe légère.
Une ivresse.
Cette obsession du minimalisme et de la répétition, pour le maître de OURS peut prendre de nombreuses formes. Ici, il s'agit d'une forme de danse invisible. Plus loin, avec "With The Neck", ce sont davantage des motifs pêchés dans les imaginaires traditionnels, et notamment dans la musique Gnawa qui compte beaucoup pour le violoniste ; mais rien n'est totalement figé ou arrêté : la clarinette aime à briser les chaînes et sortir des boucles pour mieux en créer de nouvelles. 
Il ne s'agit pas de folklore imaginaire
Mais malgré tout, on revient toujours à ce travail de longue haleine de Janinet : la Litanie des Cimes enregistre "Ornette Under The Repetitive Skies" avec une force nouvelle, et un travail incroyable de Ducret et Janinet, plus que jamais marchand d'un même pas.
Souvent, la musique de Woodlands est une mousseline : le dialogue entre Ducret et Janinet sur "Quiet Waltz", ou plus loin sur le très beau "Shadows" colore d'une manière très particulière ce blues lunaire et chambriste.
Quant au fameux et liminaire Blues des Cieux, il trouve dans cet album son morceau de bravoure. Si la boussole est souvent cassée pour éviter de se situer aux cimes des montagnes, Woodlands nous offre avec "Triplett Tragedy" un véritable morceau d'Appalaches. Sur le chant de Ducret, absolument bluffant, la Litanie des Cimes propose une musique rocailleuse plongée pleinement dans des racines arrosées de bourbon.
Une magie
Woodlands est un disque pénétrant, secret et poétique. Une réussite.

 

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

 

12 février 2024

Print - Secrets for You

25 ans après, l’orchestre organique, diablement organique du saxophoniste Sylvain Cathala ne cesse de relever le défi de creuser un sillon personnel, intuitivement poétique en compagnie d’amis fidèles, rompus comme lui à une musique aux rythmes impaires, où la chaleur se cache souvent dans la douceur d’une nuit sans lune.
Oui, Print est une musique de nuit, c’est ce qui est écrit ici depuis des années, et ce n’est pas « Fifteen Minutes to Change » et l’échange entre la contrebasse de Jean-Philippe Morel, très en vue dans ce nouveau disque, et la batterie de Franck Vaillant qui dira le contraire.
La musique de Print, douce et toujours fluide trouve dans sa base rythmique des ressources inouïes. Elle parviennent à éviter les redites, et si l’eau a coulé sous les ponts depuis le Nordic&Baltic Tour, c’est d’abord parce que les musiciens ont appris à se trouver sans avoir besoin de se chercher, à l’image de « Eleven Dimensions » dont les ruptures patinées et l’élégance des saxophones (le fidèle Stéphane Payen se joint à Cathala pour conquérir un espace bien ouvert par le clavier très atmosphérique de Benjamin Moussay) forme sans doute le morceau le plus intéressant de ce Secrets for you.
D’abord parce que Sylvain Cathala s’éloigne sans vraiment perdre de vue son tropisme urbain pour une musique plus contemplative, sans perdre de vue l’énergie anguleuse qui réside souvent dans la batterie de Vaillant. Son échange avec le saxophoniste, où l’on retrouve la dynamique géométrique des voies illuminées tracées au cordeau tranche avec les rêveries de Moussay. C’est la clé indéniable de ce nouvel album ; c’est ce qui en fait le sel nouveau.
Si patine il y a dans cet album et dans la musique de Sylvain Cathala, c’est justement dans l’intégration de cette nouvelle voi(x)e pour Print. Son entente avec Payen est absolument télépathique, et les discussions entre les deux soufflants sont toujours constructives et apaisées, notamment dans la très belle suite « Study » qui ouvre là aussi de nouvelles perspectives pour l’orchestre.
Les chemins trouvés par Cathala pour donner de nouvelles perspectives à Print, pour changer l’empreinte et lui donner plus de profondeur. Les phrases complexes des saxophones trouvent du soutien dans le piano de Moussay, toujours prompt à élargir les perspectives. Il y a dans la musique de Cathala une forme de discrétion revendiquée qui souligne davantage peut-être les instants brillants, à l’instar de cette magnifique prise de parole de Morel dans la quatrième partie de « Study ».
Un quart de siècle après avoir enchanté nos oreilles, Print continue à dessiner les plans d’un terrain connu dont on ne se lasse guère, trouvant toujours de nouvelles manière de laisser une trace dans le monde clair-obscur dans lequel ses musiciens évolue.

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

03-Finistère copie

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 > >>