Didier Levallet - Voix Croisées
Connu depuis des années pour sa connaissances de grands orchestres et sa capacité à amalgamer des ingrédients disparates dans un tout cohérent, Didier Levallet est un contrebassiste rare, qui a pendant une longue période mis de coté sa carrière "phonographique" pour la direction de salles de spectacle et de festival.
Depuis la fin de sa direction de l'Orchestre National de Jazz, au début de siècle, ainsi, on ne doit à ce contrebassiste au timbre si profond, au jeu franc qui semble allier puissance et calme, qu'un seul disque répertorié. Il s'agit du très joli Songes, Silences sur le label dématérialisé Sans Bruit, qu'on ne peut que conseiller. Capté en 2006, cet enregistrement nous avait été présenté en 2011, sans subir le contrecoup d'une date limite de consommation.
La musique très fluide de Levallet, avec toujours beaucoup de caractère faisait merveille et constitue à ce jour l'un des meilleur témoignage de l'alchimie entre Airelle Besson (qu'on retrouve dans le présent disque) et Sylvain Rifflet, en dehors de feu leur groupe RockingChair.
A bien regarder dans le rétroviseur des ONJ successifs, le mandat 97-2000 qu'anima Levallet avec des pointures aussi excitantes que Sophia Domancich, Yves Robert, Chris Biscoe ou Vincent Courtois reste l'une des formations les plus importantes et, comme je l'écrivais, une "manière sagement iconoclaste et brillante de prendre l’institution à revers pour mieux lui faire faire des pas de géants."
C'est donc avec tout ce contexte en tête qu'il faut se pencher sur "Voix Croisées", premier disque du nouveau quintet que Levallet propose, accompagné par le fidèle batteur François Laizeau.
Beaucoup de choses ont été dites, et notamment à cause de la présence de trois soufflantes au côté de cette base rythmique. En effet, aux côté d'Airelle Besson, toujours aussi Wheelerienne et brillante, on retrouve Céline Bonacina, renommée pour son jeu au sax baryton et la toujours remarquable flûtiste Sylvaine Hélary, dont nous ne cessons de dire ici le plus grand bien.
On ne versera pas plus longtemps sur cette présence de trois femmes dans cet orchestre, qui fait causer dans des termes et des adjectifs qui fleurent bon parfois le sexisme gras du bide et vaguement condescendant.
Ces trois musiciennes -et tant d'autres- animent depuis suffisamment longtemps le jazz et les musiques improvisées pour s'éviter de les écouter que par un bout de lorgnette bien flou. On a cinq musiciens venus d'horizon disparates qui forme un tout à la fois dense et polymorphe. C'est décidément ce qui fait la "patte" Levallet...
Voix Croisées, dit on !
On remarquera surtout que, bien plus qu'une particularité chromosomique, voilà trois fameuses solistes qui créent un attelage de timbre très particulier et tout à fait remarquable qui éclairent le propos dès "Antigone's Choice" qui ouvre l'album. Autour de la basse solide et déterminée de Levallet, un magnifique unisson se frotte à une batterie très coloriste et attentive.
Dans ce morceau comme dans le reste de l'album, on retrouve la fluidité et l'élégance de l'écriture de Levallet, qui s'attache dans chacun des morceaux à mettre en avant un soliste sans rompre un mouvement collectif intense. Voir ainsi "Traversée d'un temps immobile" où le jeu très incisif de Sylvaine Helary fait merveille ; la flûtiste est le liant idéal de cet orchestre, dont Bonacina est le détonateur. Son jeu anguleux, puissant pousse, dans un morceau comme "La Jetée", l'orchestre dans des retranchements où jamais il ne se délite.
Cette suite centrale (ajoutez y "Aline on The Green" et "Siegfried") est aussi l'occasion de constater avec quelle facilité la contrebasse de Levallet s'allie avec la trompette d'Airelle Besson. Dans ce même ordre d'alliances, "Le dur Désir de Dürer", notamment est un morceau lumineux, qu'on aime à se passer en boucle.
Ce retour de Didier Levallet est signé sur le label Evidence où sortirent les albums de ses ONJ. C'est un retour gagnant. Ca aussi, c'est une évidence...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...