Bailey/Léandre/Lewis/Parker - 28 rue Dunois, Juillet 1982
Il est des lieux mythiques qui se réveillent par le simple geste de glisser une galette de plastique dans un lecteur afférent. Le théâtre Dunois est de ceux-ci. Aujourd'hui consacré aux spectacles "jeunesse", ce qui est une noble tâche, il était dans les années 80 le lieu parisien où l'instant s'écrivait et où se croisaient les piliers de notre époque, comme Léandre, Lazro ou Lewis mais aussi les précieux fantomes devenus : Lacy, Bailey, Coxhill...
On se souvient, pour les 30 ans du label nato, d'un retour à la case Dunois où cette mémoire revint le temps d'une série de concerts et d'une ressortie, celles des 12 sons de Joëlle Léandre, enregistré en juin 1983 au théâtre et qui reste un incontournable de cette musique. On trouvera quelques bribes de témoignage sur ce site délicieux qui se fait témoin bienveillant.
Mais l'histoire ne commence pas là.
Elle prend ses racines à la fin des années 70 et révèle de loin en loin des trésors, comme celui que nous propose Jean-Marc Foussat sur son label Fou Records. En juillet 1982, soit onze mois avant l'enregistrement de l'album précité de Joëlle Léandre, la contrebassiste se produisait donc déjà au Dunois. George Lewis au trombone, Derek Bailey à la guitare et son comparse britannique Evan Parker au ténor et au soprano sont des comparses d'un soir qui se partagent entre piliers et fantômes et qui ne cesseront de se croiser jusqu'à nos jours. Ce quartet sans passé commun et aux avenirs multiples anime ce Au 28 rue Dunois en Juillet 82. C'est un vibrant témoignage ; le pays dans ce chaud été de 82 se passionnait certainement plus pour les avanies de Battiston, dont l'auteur de ces lignes à qui l'on concédera l'excuse de ses 8 ans.
Mais si les vignettes Panini ont flétri comme les mulets des avant-centres allemands, la musique qui nous arrive à traver le continuum espace-temps est d'une fraîcheur rare.
La captation de Foussat est celle d'un excellent technicien et d'un passionné. Malgré quelques manque de relief parfois, lié aux contingences matérielles, on profite de l'espace entre les musiciens, de leurs interactions permanentes et de cette tension palpable qui est le véritable moteur de la rencontre.
Le premier morceau est un round. D'observation, comme il se doit. il s'ouvre sur les cordes, dans les cordes dirait-on mieux, avec le jeu tout en ruptures sèches caractéristiques de Bailey que vient hérissé l'archet de Joëlle Léandre. De la contrebasse, les deux soufflants sortent en une gerbe fluorescente : le saxophone de Parker, d'abord, pénétrant, puis le trombone de Lewis, qui s'impose tout de suite comme l'ordinateur de ces chemins croisés. Les chocs sont vifs, frontaux, sans frôlements préalables, et pourtant les quatre musiciens prennent le temps de trouver l'équilibre.
Un équilibre qu'il remettent en cause sur les cordes bouillonnantes de Léandre et Bailey. Ces deux là sont des compères soudés, mais ce n'est pas la seule affinité élective qui éclaire ce concert. On passera sur l'alliance de l'eau et du feu qui caractérise la relation vieille et tumultueuse de Parker et Bailey, les Lennon/McCartney de l'improvisation britannique, éclatante dans le jeu de cache-cache de la seconde partie du premier set, pour s'attacher à celle qui unit George Lewis et Joëlle Léandre et qui est le trait d'union de tout les morceaux proposés ici.
La première partie du second set est à ce titre saisissante tant il montre la césure entre les deux duos privilégiés de ce quartet, en divers temps que séparent plusieurs explosions collectives. Ainsi, le dialogue agressif entre saxophone et guitare est il soudainement apaisé entre les deux voix, celle du trombone et celle plus lyrique de la contrebassiste.
On est vite emporté par ce fourmillement d'idées et de fulgurances qui se révèle trente-deux ans plus tard à nos oreilles curieuses. Il faut remercier Fou Records de nous le faire partager et d'avoir été là, oreilles ouvertes pour nous autres, pour capter cet instant qui ne vieillira pas.
On s'en régale.