Louis-Michel Marion - 5 Strophes
Musicien discret, pour ne pas dire secret (on préfèrera "intérieur", ce qui volle si bien à la profondeur vibrante de sa musique), le contrebassiste Louis-Michel Marion publie avec 5 Strophes son second solo, le premier sur le label Kadima Collective.
Le label israëlien, créé par un contrebassiste, offre souvent de beaux écrins aux joueurs du "gros violon" qui versent dans la musique improvisée, à commencer par Joëlle Léandre et Barre Phillips.
Marion est de cette trempe, de ceux qui prennent le son à bras le corps, qui savent en bon sculpteur de silence trouver dans le matériau brut un chant intérieur, parfois secret.
En écoutant les disques de Marion, ces solos ou ses collaboration avec Françoise Toullec par exemple, on ne peut s'empêcher de songer à des musiciens comme Jean-Luc Petit.
Même approche de la matière que l'on doit malaxer, étaler, gauffrer parfois dans le glissement lancinant de l'archet, comme c'est le cas sur l'impressionnant "Who Talks" et se flot incessant de cordes en vibrations qui pénètre absolument, même presque physiquement, pour aller extirper la plus petite parcelle d'émotion.
C'est peu de dire que l'approche des solo de Marion est foncièrement graphique. Elle s'exprime d'abord sur la pochette, et ses vénules de couleurs qui s'entrecroisent comme autant de reliefs en de noirs agglomérats.
On retrouvait la même approche plastique sur Grounds, son premier solo qui s'imposait de ne jouer que sur la corde grave ; plus qu'un gage monocorde, se dégageait un paysage monochrome, qui cherchait dans la sobriété du Si tous les chemins possibles. et dessinait des paysages touffus sans lever l'archet, devenu fusain.
Il faut peu de gestes, peu de notes, peu d'effets à Marion pour jeter les bases de sa musique. L'archet est omniprésent, peu de pizzicati dans ses solos, mais un ronflement immense qui peu à peu dévoile ses interstices, comme sur "The Deep Motion" où lorsque les cordes sont frappés, c'est par le crin.
Il ne faudrait pas cependant penser qu'il y a de la distance entre Marion et son instrument. L'archet ne fait pas filtre, il est le prolongement du bras, le médiateur entre le bois et l'âme. D'ailleurs, 5 strophes commence par "askings", un corps à corps avec la contrebasse, foncièrement percussif et bondissant, qui fait chanter le bois.
Si Grounds était un hymne à la corde basse, 5 strophes consacre à chacune d'elle un épithalame ; la dernière est pour le bois, l'archet, ou l'ensemble, lorsqu'il n'utilise pas une contrebasse à cinq cordes (c'était le cas sur Grounds). On ne sait pas si ces strophes sont courtoises ou guerrières, mais elles se devinent à mesure qu'on se laisse gagner par cette musique de l'instant que le contrebassiste range sous l'autorité de Henry David Thoreau.
C'est sur "Deserts of Vast Eternity", où la contrebasse se laisse gagner par le silence écrasant qui frissonne entre chaque vibration des cordes que Louis-Michel Marion porte l'estocade, pleine de tension émotionnelle. On ne peut être qu'attentif à cette poésie que Marion laisse transsuder de son rapport à l'instrument. Remarquable.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...