Denis Fournier & Denman Maroney - Intimations
Les deux musiciens qui se rencontrent pour la première fois pour ce duo entièrement improvisé se ressemblent beaucoup, et évoluent sans s'être jamais croisé dans des sphères semblables, et des esthétiques jumelles. Tant de choses les rapprochent qu'il est étonnant finalement qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour que la batterie de Denis Fournier et le piano de Denman Maroney se croisent enfin.
Pas forcément que ceux-là tiennent le haut du pavé. Artisans discrets de leur instrument, créateurs avide de liberté et reconnus de leurs pairs, ils n'ont sans doute pas la notoriété d'autres improvisateurs de leur génération. Mais un disque comme Intimations tend à montrer que la droiture de leur démarche, et la radicalité de l'approche étendue de leurs agrès nécessite sans doute de cultiver son jardin sans chercher ni l'esbrouffe ni la gloire.
La pochette nous révèle que ces compères se sont rencontrés à Montpellier, terre d'élection de Fournier qui a enregistré en quintet sur le label AJMIséries à l'occasion d'une projection d'un documentaire sur Barre Philips, ami commun. On peut difficilement rêver plus haut patronnage !
Là où Fournier et Maroney se ressemblent, c'est dans ce culte du son. La batterie ne sert pas forcément à frapper, elle chante, elle souffle, elle gratte, elle caresse. C'est ainsi qu'on le connaît avec le saxophoniste David Caulet ou dans Escape Lane, le sixième orchestre de Across The Bridge. C'est ainsi aussi qu'on l'avait entendu avec Alexandre Pierrepont sur l'étrange Traités & Accords sorti l'an passé.
Quant à Maroney, c'est l'adepte de l'hyperpiano, un terme revendiqué qui indique qu'il joue tout autant dans les entrailles du piano que sur le clavier. Sur son site, il donne même des indications de préparation. On peut regretter peut-être un recours systématique, où parfois la performance domine, mais force est de constater qu'il y a une forme de langage bien à lui qu'on retrouve également dans sa grande fidélité au contrebassiste Mark Dresser.
Un morceau comme "Love or Strife" qui s'ouvre dans un crissement inconnu qui peut tout autant venir du crissement des cymbales que des cordes frottées du piano en témoigne. Tout dans la discussion ouverte et intense du français et de l'étasunien est affaire d'écoute mutuelle, d'attention à l'autre et de volonté d'une certaine alliance. Pour le moins à une consonnance, en témoigne le magnifique pas de deux dans l'étrange "Blank Misgivings" où tout tangue de manière continue mais où l'édifice tient debout, malgré toutes les secousses. Sur un temps très courts, les entrailles du piano subissent des altérations qui ressemblent à des distortions temporelles, mais toujours le set de batterie, abordé en percussionniste davantage qu'en batteur, comme s'il coloriait les espaces et leur redonnait une forme de continuité.
Ce ressenti, il tient au fait que les deux musiciens aiment tout autant la parcimonie et le luxe de détail. Ca paraît paradoxal, mais en réalité, les deux sont complémentaires. Sur le long "Shadowy Recollections", qui annonce le magnifique "Calm Weather", les touches étouffées du piano complètent la frappe, lui donne une autre dynamique. Tout est fait dans la simplicité et l'immédiateté, ce qui n'empêche pas un soin et un calme très apaisant. Une belle rencontre sans filets.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...