Ca passe ou ça casse les formules en général. Dans un groupe d'improvisateur, l'adjonction d'un nouvel angle à la formule géométrique casse la dynamique ou la magnifie... Et ce qui nous arrive en disque est souvent de la seconde alternative. Et "Aquarian Forest" du quartet Aänet, dernière sortie en date du label Emouvance en est un magnifique et bien troublant exemple.
Stephan Oliva au piano, Claude Tchamitchian à la contrebasse et Rémi Charmasson à la guitare est un triangle d'expérience, réjouissant, époustouflant et même presque modèle d'une configuration ou la batterie est inutile : interstice des sons et des ambiances, palette des atmosphères abstraite ou pointilliste, c'est un modèle qui se suffit à lui même et qui reste sans cesse en mouvement.
A l'occasion de concerts en Finlande, le trio rencontre quelques musiciens du cru d'une scène jazz disparate et vivace. La rencontre avec l'époustouflant tromboniste Jari Hongisto, inventif et technique, compagnon de Braxton (carte de visite universelle) et de la Campagnie est une collision qui devient collusion et donne ce magnifique album äänet qui hante mon lecteur depuis quelques trop courts jours. Il faut dire qu'ajouté à ce finnois de Carélie qui fait de son trombone un porte voix sylvestre, les prestations des 3 autres sont scotchantes : le trop rare Tchamitchian sort de sa contrebasse des spectres improbables, des humeurs et des fulgurances qui le rende tour à tour distancié et physique, poète et pyromane, cristallin et inexorable, que Stephan Oliva, toujours aussi économe de ses gestes qu'il est philanthrope d'émotion apporte comme toujours une couleur personnelle, fragile et acérée et que Charmasson est énorme dans chacun de ses registres, ce qui devient un réjouissante habitude.
Äänet signifie "les sons, les buits" en finnois. Et ce disque enregistré à Joennsu, à l'est du Pays, non loin de la frontière russe, région de forêt et de lac. L'album, qui se nomme "Aquarian Forest" s'inspire très fortement de cet environnement, le transcende, l'alimente en fables raffinées des forêts teintées d'hiver et des lacs pailletés de froid. La contrebasse de Tchamitchian, encore et toujours pivot de cette formation chavire comme un arbre malmené sur "Blowing sunday", mais ce sont les morceaux "Winter Leaves" pour cet époustouflant ostinato d'Oliva et "Extérieur Jour" pour cette fureur endigué de Charmasson qui laissent absolument sans voix.

Et une photo de la forêt finlandaise, juste pour inspirer...