Tout semble si...
Depuis quelques semaines que ma fille est arrivée, je me reprend avec plaisir à baguenauder dans les rues de Rouen sans buts, ni Appareil photo pour se refaire l'œil à neuf. Retourner dans des quartiers du centre-ville que j'avais plus ou moins délaissé, réemprunter des rues que je coupais nerveusement pour gagner du temps.
Surtout, je redécouvre le bruit de la ville, moi qui avait la fâcheuse tendance il est vrai à m'enfermer dans ma musique avec un casque couvrant et d'une effroyable bonne qualité, à telle point qu'il me coupait absolument du monde et de la respiration de la ville.
Je marche donc sans me soucier de la clarinette, dans des rues depuis trop longtemps inexplorées, redécouvrant des toitures et des pignons, de nouveaux restaurants et des boutiques disparues. Il m'arrive même de choper quelques conversations fortuites, des bribes sans fond et même sans intérêt qui mises bout à bout sont un collage surréaliste de réflexion sur un monde qui se rabougri à force de ne se croire que spectateur, ou pire, portefaix d'une crise qui n'est manifestement pas tout à fait ressenti de la même façon que l'on soit ou pas du "bon" côté du bouclier fiscal.
J'en profite pour dire, s'il en est besoin, que je préfère être du côté des crétins harassés que des jouisseurs immondes...
Ces brèves de rue en disent plus long que les boutiques fermées et les cache-misères pastel qui idéalisent une sorte de fantasme bobo qui n'existe que dans le fiel droitière de quelques caqueteurs aigris en mal d'argument et de perspectives. Ces boutiques pastel ne sont que des cavaleries à venir et se parent d'atours qui font modernes pour mieux paraître sales et surannées dans 15 ans, comme ces boutiques seventies qu'on regarde avec une nostalgie teintée d'un vague mépris. Tout ça est la face d'une même médaille, celle qui nous fait croire à l'unité alors que le "tous contre tous" est devenu un projet de société et une horreur économique
Dans la tête, une chanson de Zebda, "tout semble si..." se dispute à "Alabama" de Coltrane. Cause et conséquences ?
Depuis plusieurs jours, en tout cas plus qu'à l'habitude, le simple regard croisé sur les titres de l'actualité glacerai le plus optimiste des ahuris qui préconise béatement de s'aimer les uns les autres. Le dégueulis actuel de la majorité est aussi grossier et gras que leur politique culturelle et ancre définitivement ceux qui l'accueille dans les vivats dans le camps de l'extrême-droite à la bile froide. On a beau savoir qu'à chaque difficulté, la clique de Lefuneste nous ressort la haine de l'autre, et que ces gesticulations odieuses ne sont là que pour faire contrefeu sur les affaires en cours, et qu'il ne faut pas tomber dans le piège de l'indignation-minute et continuer à s'intéresser à ces affaires, les discours sur les Rroms et sur la Nationalité sentent tellement la Francisque qu'elles donnent envie de hurler.
Je me promène dans la ville qui parait si tranquille, pourtant... A la terrasse d'un café, on joue aux boules entre gens de gauche à l'indignation planquée dans le diabolo-menthe. Dans une rue, des touristes expérimentent la ville à coup de chevaux de trait, fantasme typique de la "vie qu'était mieux avant" avec un sourire béât...
Tout le monde fait comme si.
Et moi je rentre écouter de la musique belle et complexe à m'en bourrer le crâne.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...