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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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6 septembre 2010

Didier Petit - 6 faces de Violoncelle seul (Déviation & Don't Explain)

Comme un long continuum du temps, comme une parabole de dix ans pétulantes pour la musique improvisée au niveau de la création et de l'émulation collective -ce qui tranche crument avec le désinvestissement croissant du mécénat public et privé, l'arrêt des émissions dédiées sur les radios institutionnelles et sur le manque de moyens offerts à sa production-, les six faces de violoncelle seul de Didier Petit auront traversé la décennie comme on coupe à travers champs pour prendre le temps du raccourcis, et pour se retrouver seul au milieu de l'immensité et du nombre.
Six faces en deux album, l'un sorti en 2001 (Déviation) et l'autre en 2009 (Don't Explain), et tant de morceaux par faces comme 26 contrées imaginaires aux frontières poreuses et à la chaleur familière. Deux voyages comme un retour, où le petit Liré serait à une portée d'archet du Mont Palatin. Six faces de violoncelle seul : difficile de ne pas penser à Bach, pour le moins à son fantôme, auquel Didier Petit ne cherche pas ou plus à se mesurer ; à peine à partager cette volonté d'exprimer sa musique intérieure sans concession et d'utiliser toutes les ressources de l'instrument. On cousinera aussi avec Berio et ses Sequenzas, la XIVa bien sur, qui explore les ressources du violoncelle...
Mais foin des ressemblances ; les rhizomes de Petit plongent dans l'humain et dans l'intime tout autant que dans les partitions magnifiques de ces glorieux ainés. Elles ont commencé dans les Pyrennées monolithes qui encerclent Tarbes avec le concours de la maison d'édition "La Nuit Transfigurée", tellement impliqué dans la musique improvisée. Elles finissent dans le tumulte urbain de Minneapolis...
C'est là aussi une belle parabole, puisque les trois premières faces sont pleines de heurts et tourmente quand les trois dernières sont plus apaisées et recherchent l'harmonie d'une paix intérieure aussi fragile que créative. Organique et impétueux dans la quiétude, Apaisé et spirituel dans le bourdonnement. A tout jamais cette déviation. Nulle virtuosité affétée chez Petit dans ses six faces ; c'est un jeu qui bouillonne et qui créé à mesure de ce bouillonnement et de ses débordements. Qui vit, au sens le plus strict de la pression sanguine.
Voilà des mois que Don't Explain me suit et me poursuit parce que c'est un album magnifique, une unique plongée dans un univers d'émotion. Le violoncelliste la trouve tant les vibrations de ses cordes que dans les chocs du bois et les effets d'archets, met sa voix en unisson où en dissonance, selon le chemin et l'émotion. "Coupes et Découpes"  qui ouvre l'album semble nous projeter sur une Route de la Soie à travers steppe, alors même que, plus loin, "Road Song" témoigne de longues errances dans les canyons rougeoyants d'une Amérique d'avant l'Amérique. Il est difficile de décrire mieux que ma camarade Diane Gastellu l'émotion qui s'en dégage.
Mais ces faces ont plus d'assises lorsqu'elles tiennent sur deux jambes, lorsque la musique est campée sur sa globalité. Le violoncelle parle à hauteur d'homme, vibre en familier et en empathie. Pour saisir l'entièreté du discours, il faut entendre le disque de 2001 comme un matériel nécessaire, comme les clés pour entrer dans la musique de Didier Petit. Déviation est comme un manifeste. Si Petit est seul à faire corps avec son violoncelle, il est seul à plusieurs, avec sa voix et puis les cordes, avec son corps et puis le bois. Il fait corps avec les éléments dans une "Entropie" qu'il définit dès l'entame de la première face, puis nous parle d'un "Clinamen" peut être plus proche de Jarry que d'Epicure : "La Liberté est une variation qu'on fait subir à une contrainte...". Déviation se termine sur un standard de jazz, le "summertime" de Gershwin comme une manière de rappeler que c'est la musique qui exprime le mieux cette liberté, y compris celle de s'en éloigner.
Déviation et Don't Explain sont des disques d'homme libre, c'est à dire complexe et effervescent. Les deux livrets, à tant d'années d'intervalle sont de discrets jumeaux où le musicien se livre et explique une démarche totale. C'est un indispensable voyage d'une décennie qu'il faut garder précieusement dans les moments d'errance...

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

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