Apprentissage
On ne dira jamais assez de bien de l'initiative d'Owni (et même d'ailleurs d'Owni tout court) d'avoir créé un site satellite, Ownimusic qui, comme son nom l'indique ne parle pas de la recette de la blanquette de veau de Tata Lucette, mais bien de musique, dressant des constats ou des analyses sur la musique, le fait musical, et son industrie.
Ces sujets étant souvent présents sur Sun Ship, ce site est devenu un incontournable, avec lequel il y a une communauté d'idée sur le devenir de l'industrie de la balle dans le pied et la nécessité pour les artistes de créer leur propre chemin sans plus rien n'attendre d'artistique de ces comptables qui s'échinent à être résolument mauvais...
Récemment, l'article de Lara Beswick sur l'apprentissage de la musique en France a particulièrement attiré mon attention. C'est un sujet vaste que j'avais évoqué -ou plutôt mal tangenté- dans un billet. En effet, et comme le souligne d'ailleurs l'article de Beswick, l'apprentissage de la musique en France est absolument catastrophique, si on exclue aujourd'hui les bons conservatoires -j'ai connu pour ma part l'époque détestable et encore vivace sans doute en quelques lieux où l'apprentissage de la musique le mercredi se limitait à fournir une culture de façade à la petite bourgeoisie désireuse que le rejeton apprenne le solfège aux fins de s'améliorer en maths-. Pour le reste c'est "l'apprenti Pastouriau" à la flûte à bec, reconnaître une gamme chromatique ascendante de do majeur et qu'une blanche vaut deux noires.
Allez, circulez.
Comme le dit Lara Beswick, le chant est maltraité dans l'apprentissage en collège alors qu'il devrait en être la base, car l'instrument le plus démocratique, le moins cher et le plus pédagogique...
Il serait bon d'en chercher les causes de ce marasme. Elles sont certainement multiples. En vrac on peut citer la hiérarchie entre les disciplines qui met la musique parmi les moins "nobles" -au corps défendant des mélomanes qui dissertent sur la peinture, mais c'est un fait ! l'Histoire de l'Art, en France, est picturale- malgré la posture "sacrée" de la "Grande Musique" chère aux cuistres... Il faut dire que l'image du musicien "savant" oscille entre le cliché du baladin happé par son art, désargenté et malade et, a contrario, le cliché du laquais de cour prêt à toutes les veuleries pour rester attaché à son obligé et promouvoir son art courtois...
Bizarrement aussi, en France, le culte du livre est un frein à la musique. Lire un livre est noble, quand écouter un disque est le signe d'une
coupable oisiveté. Faites l'expérience à la machine à café ; dites que vous aimez passer
deux heures immobile à écouter un disque, à vous perdre dans les phrases
musicales et les délices des arrangements et vous passerez pour une
feignasse irresponsable et -pire- adulescente, presque inadaptée. Avouez que vous vous êtes
baffré le dernier Catherine Pancol en une soirée, oubliant le temps et le quotidien, et
vous passerez pour un homme de goût, mature et cultivé.
Oui, même avec Catherine Pancol.
La musique en France est méconnue. Elle n'est absolument jamais replacée dans son contexte historique et ses convergences avec les autres disciplines... Lorsqu'elle est sacralisé, c'est pour sa frange "savante" qui ne souffre d'aucune comparaison. Faire autre chose musicalement, c'est perçu comme un fourvoiement ; lorsque les Portal, Jenny Clarck et compagnie passait de l'orchestre classique ou contemporain au Free-jazz, dans les années 60-70, c'était d'une parfaite incongruité. Aujourd'hui, cela parait d'un naturel parfait auprès des jeunes musiciens qui sortent des conservatoires, et cela change d'ailleurs le visage des musiques improvisées et du jazz contemporain, avec bonheur, mais c'est un tel épiphénomène d'initié...
Le public qui n'a pas bénéficié d'un apprentissage "supérieur" n'a pas les clés et rejette en bloc. Car le langage, loin des "standards" propulsés uniquement par le marketing, est trop différent, quand il n'est pas trop complexe. Aujourd'hui, pour exister au moins un minimum,
il faut faire du Rock, du Hip-Hop, de l'électro, du jazz ou de la
musique contemporaine, mais pas un peu de tout ça. C'est aussi pour cela
que les structures fragiles de la musique improvisée notamment peinent à
exister. Les dispositifs de Musiques Actuelles pourraient y répondre, s'il s'adressait vraiment à tous, et s'ils avaient cette dimension pédagogique.
En ce moment, ce n'est que très rarement le cas, pour les mêmes raisons que précédemment citées ; la musique n'est pas considérée comme une chose "sérieuse" en France, tout simplement, et pour bien des politiques, la musique actuelle, c'est d'abord un vivier occupationnel pour les jeunes, et elles ne concernent que ce public, quand il faudrait qu'elles s'adressent à tous et soient des ponts tendus entre les genres !
Pour que les musiques actuelles puisse améliorer la donne, surtout dans l'apprentissage et l'acculturation, il faut sortir de la hiérarchisation et la vision un peu démago que le rock et le rap dominent tout, et soumettre TOUTES les musiques à l'apprentissage car toutes les musiques sont actuelles dès lors qu'elles sont jouées.... Il faudrait également en finir avec l'ostracisme envers les musiques improvisées, quelle qu'en soit leur forme, car ce qui s'y passe actuellement contribue fortement à cette convergence. En résumé, il convient de rendre les étiquettes poreuses, car la création nait du frottement.
Dans les pays anglo-saxons, il y a moins une volonté de hiérarchiser, de classer de mettre dans des petites cases
jalouses les musiciens. Certes, cela créé des monstres saisonniers comme Nigel Kennedy ou Esperanza Spalding, qui transforment à l'inverse, temps d'un buzz -Kennedy pour sa crète, Spalding pour se jolies jambes- tout ce qu'ils touchent en mainstream.... C'est l'excès inverse, mais on a préparé les enfants à une ouverture d'esprit musicale plus importante, et surtout à se sentir plus libre avec la musique... Même si à l'inverse, on voit moins d'accès facile à l'apprentissage "supérieur"... Pour un Berkeley, combien de CNSM ?
Cette liberté est pourtant la la clé. Il convient de désacraliser toutes les musiques. A condition de garder notre apprentissage de qualité pour ceux qui veulent aller plus loin...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir, ou presque...