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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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5 mars 2012

Fabrizio Cassol - VSPRS

Les liens entre la musique ancienne et le jazz le plus fureteur ne sont pas récents. Hormis les questionnements sur l'improvisation, il y a dans le terreau de la musique Renaissance ou de la musique Baroque tout un terrain à défricher, non pas pour ressasser les mêmes antiennes ou pour s'enfermer dans une nostalgie suffocante, mais bien pour faire communiquer les musiques et les expressions entre elles, trouver des viaducs temporelles qui permettent d'inventer de nouvelles expression... Bref, parler musique !
A mon sens, et j'en ai suffisamment parlé ici ou ailleurs, l'expérience la plus réussi de ces dernières années est sans conteste Gesualdo Variations de David Chevallier dans cette façon de mêler les expressions sans que l'on ne voit les guipures où que tout cela soit plaqué... Mais quelques années auparavant, Fabrizio Cassol avait réussi un tour de force quasi identique avec VSPRS. Loin des ténèbres de Gesualdo, c'est à un Monteverdi, nimbé de lumière auquel s'est attaqué le saxophoniste belge d'Aka Moon.
Monteverdi fait partie de ces musiciens dont l'oeuvre mérite qu'on s'y penche avec intérêt, et qui trouve en ce moment un écho particulier auprès des musiciens contemporains. L'absolue modernité de son langage, comme la somme de ses idées a inspiré ses derniers mois à la fois Samuel Blaser dans le magnifique "Consort in Motion", parmi d'autres compositeur de cette époque, mais surtout Michel Godard, qui a dédié un album entier au maître que j'ai eu la chance de chroniquer pour Citizen Jazz.
C'est à cette occasion que j'ai ressorti ce disque de Cassol que j'avais peut être un peu obéré à l'époque. Manque de temps ou de maturité ? Oreille moins disponible ? L'écoute attentive de cette musique commandée par le chorégraphe Alain Platel pour un spectacle de danse contemporain s'avère pourtant fantastique.
Inspiré par le Vespro della beata virgine de Monteverdi, créé en 1610, Fabrizio Cassol signe une musique d'une grande richesse qui ne cherche pas marier de force des courants contraires. Avec ses camarades d'Aka Moon, il conserve l'énergie que Monteverdi avait mis dans ces vêpres mariales pour l'insuffler dans la danse. Accompagné par Oltremontano, un sextuor de cuivres (3 cornets, 3 sacqueboutes) plutôt versé habituellement dans la Renaissance flamande, il trouve des luxes de timbres et cette inévitable polyrythmie qui a fait la légende d'Aka Moon. Le travail d'adaptation est une sacrée gageure : comment rendre, avec des langages multiples et seules quatres chanteuses solistes, la complexité polyphonique de vêpres ?
Le résultat est ahurissant.
Ainsi "Ouverture" place tout de suite le propos avec la voix de Cristina Zavalonni qui s'enchevêtre dans un profusion de mélodies et de rythmes qui s'accélèrent ou ralentissent à l'envie, s'érodent et s'illuminent... On y découvre, au sein de l'orchestre, un inattendu duo entre le contrebassiste Vilmos Csikos et violoniste Tcha Limberger, du Budapest Gipsy Orchestra. Cette partition-là donne à Monteverdi ce côté profane qui a toujours accompagné le culte marial, ainsi qu'une énergie inouïe.
Le travail de Cassol est celui d'un orfèvre ; de ces trois orchestres sur le papier fort disparate, il doit faire cohésion. Très vite, on en oublie les styles et les genres pour se laisser embarquer par une pâte orchestrale d'une grande finesse où l'expression de chacun tend vers un seul but : l'unité. En toute fin d'album, "Et Misericordia" en est l'exemple patent ; le sacqueboute de Joost Swinkels nimbe la voix de Claron Mc Fadden d'une étincelante chaleur ; on est dans la musique de Monteverdi et en même temps ailleurs.
Même sans danseur, le spectacle est total.
Dans "Audi Caelum", ce sont les Balkans qui s'emparent de Monteverdi ; le bouzouki de Michel Hatzigeorgiou se dispute au violon de Limberger ; ces choix enracinent la musique de Monteverdi dans sa dimension terrestre, humaine ; on serait tentés de dire païenne. L'amateur de musique ancienne, comme le croyant peut-être, est bousculé, mais jamais malmené. Même dans le morceau "Laetatus Sum", qui est certainement le plus radical et le plus "AkaMoonien" de tous, on conserve le souffle de Monteverdi, même s'il est rendu haletant par les polyrythmies de Stéphane Galland.
Créé en 2006, VSPRS est une oeuvre rare, qui témoigne encore aujourd'hui du talent de Fabrizio Cassol. Comme tous les albums où Aka Moon apparaît, il est indispensable !

Et une photo qui n'a strictement rien à voir...

01-BXL

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