François Chesnel Kurt Weill Project - Le Voyant
Avant toute chose et ce petit billet, je vous invite à aller lire ma camarade Raphaëlle sur le site de Citizen Jazz qui a dit plus ou moins la même chose que ce que je vais écrire.
En mieux, indéniablement.
Voilà. Une fois cette balle dans le pied tirée, il sera de bon ton de revenir sur le beau disque du Kurt Weill Project que le pianiste caennais François Chesnel consacre à la fois à Weill et à Rimbaud, et que le label dématérialisé Sans Bruit propose depuis plusieurs semaines en téléchargement.
Allier Weill et Rimbaud, le choix est surprenant. A l'écoute de "Il pleut" (O bruit de la pluie par terre et sur les toits...) écrit par le pianiste François Chesnel, où la trompette aérienne et nostalgique de Yoann Loustalot ne fait que ralentir la douce giboulée de la base rythmique de ce quartet, on trouve des points communs avec le "Liebeslied" qui lui fait suite, et que Weill avait écrit pour le célèbre Opéra de quat'sous.
Pas dans un éventuel message, ni dans une posture politique, mais dans cette mélancolie ombrageuse, cette gouaille populaire transformée en velours et que la contrebasse d'Eric Surménian transmet avec beaucoup de consistance.
Le contrebassiste, que l'on avait notamment pu apprécier en trio avec Edwin Berg est, dans cet album, préposé aux couleurs. Sur les compositions du pianiste, pleines de douceurs, ses atmosphères sont l'écrin idéal qui permet à Loustalot de s'attacher à la mélodie, assez simplement. Le jeu très rond et doux de la contrebasse avive la cohésion de l'ensemble et évite toute tentation faussement lyrique. C'est ainsi que sur "Le Voyant", au mitan de l'album, un solo ténébreux de Surménian lance un tourbillon ouaté où la trompette enlace un piano percussif, qui rend la présence de la batterie parfois superfétatoire. C'est notamment le cas lorsque le cor de Victor Michaud, invité sur plusieurs morceaux, vient ajouter à l'orchestre une couleur supplémentaire et une saveur de petite fanfare endormie.
Le jeu très impressionniste du batteur Ariel Mamane s'intègre pourtant bien dans un propos très chambriste, notamment sur cet "Epilogue" où il se montre très coloriste. On peut regretter néanmoins qu'il cantonne parfois les volutes oniriques qui s'échappe du piano à un contexte purement jazz, quand il pourrait s'aventurer sur des domaines plus larges ("Salomon Song"). Cela n'entache cependant pas l'ambiance crépusculaire de l'album, bien traduite par cette pochette de ville-lumière plongée dans la pénombre.
Il y a dans ce Voyant une impression de fin d'après-midi d'hiver vraiment saisissante, que l'on doit à un pianiste discret mais qui sait dire beaucoup de choses avec beaucoup de simplicité.
On s'y pelotonne avec délice.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...