Durio Zibethinus - Poisson Frais
La naissance d'un label est toujours une bonne nouvelle, qu'il convient toujours de saluer, surtout lorsque l'aventureux qui se lance le fait aux confins des genres, dans les recoins les plus sombres de l'improvisation où se mèle jazz, rock, noise et tant d'autres vocables que les entomologistes se complaisent à apposer comme on se signe ou on balance du sel sur l'épaule.
Pour se rassurer.
Ainsi, souhaitons bonne chance à BeCoq, et son fier gallinacé dont l'emblème appelle au t-shirt et aux autocollants. Encore une fois, c'est du Nord que vient la lumière, puisque c'est à Lille que le volatile a installé sa basse-cour.
(à ce moment du papier, mon détecteur à jeux de mots, calembours et autres synecdoques atteint un niveau critique, proche du localier de Ouest-France. Tordons le cou aux habitudes, je propose un moratoire.)
Ce qui est certain, c'est que la volonté de Thomas Coquelet, le patron de BeCoq est plutôt ambitieuse. Après une première référence, Matière Foetale par le groupe Eliogabal dont nous reparlerons certainement prochainement, c'est sur la seconde sortie qu'il convient de s'arrêter aujourd'hui, tant Poisson Frais du duo Durio Zibethinus fait partie de ces disques qui font aimer la musique sans filets et le fondant des arêtes. Membre du fameux Tricollectif, le violoncelliste Valentin Ceccaldi et le multianchiste Quentin Biardeau signent une escapade dans les profondeurs froides et sombres de leurs instruments,
Durio Zibethinus est une variété de Durian, un fruit à coque aux allures d'oursin dont l'odeur pestilentielle n'a guère de rapport avec son goût doucereux et sa texture de poulpe trop cuit. Bref, d'un premier abord, tout ceci n'attire guère la confiance... Et puis l'on plonge avec les deux musiciens de Walabix dans la description naturaliste de cinq poissons d'eau douce décrit à la manière des planches techniques qui illustrent l'album. Ces deux musiciens sensibles aux mouvements et aux couleurs en tirent de magnifiques portraits. C'est ainsi qu'on découvre "L'amie Chauve" ou poisson-castor, dernière espèce du Crétacé dont le corps lourd incarné par le ténor de Biardeau file tranquillement sur les pizzicati languides du violoncelle.
Que ceux que la Science Nat' rebutait au collège se rassurent, le voyage en eaux troubles que nous propose Ceccaldi et Biardeau n'a rien du documentaire illustratif en super-8. On avait pu constater, tant dans Walabix que dans Marcel & Solange un goût pour les grands espaces brumeux, les monochromes charnels et une approche presque vériste de leur improvisation. Ainsi, dans la longue pièce "Carpe" qui ouvre l'album, on sillonne avec le violoncelle dans des eaux tourbées où la lumière passe peu, se frottant aux scories d'un saxophone limoneux à souhait.
Dans ces à-plats où l'onde frise à peine, chaque heurt, fut-il celui de l'archet, trouble le fragile édifice. Il se reconstruit aussitôt à travers quelques instruments improbables, du guide-chant électrique au souffle persistant en passant par le magneto-cassette.
La vie de poisson, comme la musique du duo n'est cependant pas de toute quiétude ; à la lenteur satisfaite de la carpe, s'opposent les collisions vif-argents du "gardon". Dans ce morceau qui est sans doute le plus intense de l'album, Biardeau se heurte avec virulence sur le déchainement d'un piano à lames fracassé par Ceccaldi. Lorsque soudain le flot se calme, redevient plus tranquille, ce n'est que pour un instant ; Biardeau se débat, s'échine, remue toute la poussière comme un poisson ferré.
Durio Zibethinus est une pierre de plus au bel édifice du Tricollectif. Et une belle entrée en matière pour BeCoq.
On en redemande déjà.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...