Cécile & Jean-Luc Cappozzo - Soul Eyes
Les duos piano/trompette porte déjà en eux leur dose d'intimité. Cristal et cuivre, bois et souffle, il y a dans l'histoire de nos musiques de nombreux précédents, à commencer par Kenny Wheeler et John Taylor, deux tendres disparus dont nous parlions il y a peu.
C'est exactement ce que nous explique l'excellent texte de Bernard Aimé dans les notes de pochettes de Soul Eyes, la nouvelle sortie du label Fou Records de Jean-Marc Foussat qui réunit évidemment une pianiste et un trompettiste. L'attelage est inédit, du moins en disque : Cécile Cappozzo au piano et Jean-Luc Cappozzo à la trompette et au bugle. Une rencontre ? Pas vraiment.
Un surplus d'intimité.
Une relation père/fille exposé avec une lumière franche et chaleureuse sur un autre matériel patrimonial : les standards de jazz.
Et pas n'importe lesquels, puisqu'il s'agit de morceaux de Mingus et de Waldron ; deux élégants, deux intransigeants, deux fusionnels dont la route s'est croisé à la fin des années 50, notamment sur le Pithecanthropus Erectus dont notre duo reprend le morceau-titre dans une suite forte en émotion, lié au morceau « Soul Eyes », un des standards les plus pénétrants de Waldron, qu'on avait pu apprécié -entre autre- sur le crépusculaire One More Time en trio avec Avenel et Lacy du regretté label Sketch, au début de ce siècle.
Mais aussi, plus avant, avec Webster Young, trompettiste de génie.
Des musiques que le duo visite jusqu'à leur essence, les déconstruisant même avec espièglerie et une révérence assumée envers l'œuvre... Ce qui implique de ne pas lui donner un caractère immuable, et de se l'approprier pour le traduire dans un langage véhiculaire familier...
La liberté du discours est l'un des traits significatifs de la musique de Jean-Luc Cappozzo.
C'est manifestement génétiquement transmissible. A partir des morceaux choisis, père et fille construisent un discours connivent et tout à fait personnel qui est en tout point souriant.
On se souvient du duo du trompettiste avec Géraldine Keller sur Air Prints, et on retrouve ici le même sens du jeu, dans son acception la plus enfantine, à la fois rêveuse et inventive, colorée et turbulente...
Mais avec sa fille, la dimension est différente, on découvre ce plaisir du jeu ancien, qui va chercher ses racines si loin que s'en est très émouvant. Principalement l'association de trois titres, deux de Mingus et un de Waldron sur le premier morceau « No More Tears – Good Bye Pork Pie Hat – Nostalgia in Time Square ».
Il y a tout au long de ce long premier morceau des retours, des citations et des brisures qui s'unissent totalement pour former un tout bien vivant. On pourrait citer toute sorte de moments individuels, le souffle très oniriques des prémices et les notes parcimonieuses d'une pianiste qui sait saisir les émotions dans les tréfonds de la main gauche, l'ouverture lumineuse de « l'hymne » Pork Pie Hat par la trompette... Mais en réalité, ce qui compte c'est l'ensemble, l'intéraction, l'alliance qui fonctionne parfois à front renversé (fille sage, père fantasque) et souvent dans la bienveillance caressante d'une liberté offerte.
C'est une sacré carte blanche qui est proposé à la famille Cappozzo par Fou Records. On peut remercier de nous permettre d'entendre ce témoignage d'un instant complice qui a quelque chose d'universel. On ne peut que goûter ce petit plaisir qui donne le sourire.
Une fête.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir... (n'est-ce-pas...)