Twenty One 4tet - Live at Zaal 100
Incapable de savoir si le Twenty One 4tet fait référence au siècle, mais une chose est certaine : si les 45 minutes que durent cette capatation de concert sont d'avantage intemporelles, le Free que propose les quatre musiciens est du genre instantané ; il ne ressasse pas les vieux rêves, il les remets en perspective.
Il leur construit de nouveaux paysages avec une base rythmique comme on les aime : le contrebassiste Wilbert de Joode et son jeu sec comme un caillou de volcan éteint et le batteur Onno Govaert, toujours en mouvement, toujours attentif, toujours prêt à aller chercher le son qui va changer le cours des choses. Wilbert de Joode est vraiment l'un des improvisateurs européens qu'on reconnaît immédiatement, tant dans ses aventures avec Michael Vachter que récemment avec le pianiste Achim Kaufmann.
Bref, une séance d'improvisation dans le pur continuum des musiques improvisées européennes, avec les plus fins représentants de cette scène batave qui n'a jamais fini de nous impressionner par son ouverture et sa solidité. Sur "Rising Tide", le long morceau se développe en érodant peu à peu une masse de silence qui ne demande qu'à être entamée, abîmée, déchirée.
Les deux musiciens de la base rythmique, intarissables mais pas omniprésents, jouent au chat et à la souris entre les soufflants dont l'économie de gestes n'a d'égale que l'économie de souffle : à peine entend-t-on quelque cliquetis de John Dikeman, le saxophoniste ténor que l'on a pourtant connu dans le registre du cri (voir à ce titre l'excellent Across The Sky) et le souffle de Luis Vicente, à l'origine de ce projet, dont le son naît à force d'aller et retour et de dialogue.
Certes, le trompettiste portugais Luis Vicente est plutôt un bon représentant de ces musiciens du XXIème siècle, ou plus exactement de cette jeunesse insolente qui a à la fois la technique et la connaissance de toute sorte de terrains. Elle pourrait être encyclopédique et hors-sol, elle se frotte à toute sorte d'atmosphère.
Avec un brio et une adaptabilité à tout épreuve, même, car lorsqu'on écoute les cycles de "Vesuvius", long morceau où Dikeman fait parler la poudre et cogne tel qu'il sait le faire, le biotope de Vicente est assez éloigné de ses collaborations récentes avec le Tricollectif (de Happy Meal aux aventures avec les frères Ceccaldi dans Chamber 4).
Son interaction avec le trident néerlandais s'inscrit plus dans une tradition du Free brut, rocailleux, virulent. "Red Moon" qui ouvre l'album en est le parfait exemple :son échange à la fois pugnace et complice avec Govaert, sur le jeu si nerveux de De Joode est toujours sur le fil, comme son duel avec Dikeman. C'est du bonheur. Un bonheur qui se poursuit en quintet, avec une autre formation mais toujours avec Dikeman, le même jour dans la même salle.
Regarder la discographie et les collaborations de Vicente, c'est regarder une cartographie de la musique improvisée européenne. Evidemment, il y a le soufflant japonais Akira Sakata qui semble détonner géographiquement, mais qui n'est pas si loin de Dikeman. Mais sinon, de Jari Marjmäki le finlandais à Johannes Bauer l'allemand en passant par le Tricollectif ou ses camarades lusitanien, il y a des kilomètres au compteur.
Et ça s'entend tout entier dans ce disque.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...