Naïssam Jalal & Rythms of Resistance - Halmot Wala Almazala
L'accélération de l'histoire se mesure souvent au gré des oeuvres. C'est le sentiment qui prévaut lorsque la flûte de Naïssam Jalal sort d'une nappe électrique persistante qui peine à retomber, un peu comme une poussière soulevée par une déflagration sur "Hob wa harb", le premier morceau de Halmot Wala Almazala, le nouvel album de ses Rythms of Resistance, dont nous avions déjà parlé l'année passée.
L'Histoire s'accélère sous les attaques de flûtes, mais ce ne sont pas elles qui sont délétères : la musicienne d'origine syrienne, installé en France depuis longtemps (elle est de la bande de l'ARBF de Yoram Rosilio) évoque encore une fois son pays dans ce nouvel album. Et le premier constat, c'est un paysage désolé, duquel on se relève groggy mais vivant. Un paysage qui concerne le Monde. Qui regarde le monde, même, avec ses citations ironiques de Grieg.
Elle l'évoque comme une toile de fond d'un discours universel, si ce n'est universaliste. Elle l'évoque avec une gravité qui tranche avec la teinte d'espoir qui teintait Osloob Hayati.
Mais cette gravité n'est pas lourde de renoncement, au contraire, le nom de l'album qui signifie "La mort plutôt que l'humiliation" catalyse une colère souterraine qui fait relever la tête. Rien n'est fini tant qu'on lutte ; c'est le message asséné tout au long de l'album. Et après l'accès de mélancolie qui plongeait dans les cratères des bombes, accompagné par la guitare de Karsten Hochapfel ( de Odeia, entre autres), il y a une volonté de remettre en avant cette pulsion de vie qui vaincra toujours la pulsion de mort. Ca éclot des percussions de Medhi Chaib, qui rejoint la batterie d'Arnaud Dolmen sur "Dar Beida". Ce morceau porte les gemmes d'un espoir insolent, dans les psalmodies de la flûtiste.
Oui, on se relèvera toujours, même à "Alep" où la flûtiste assume seule une complainte chargée de larme sans jamais être larmoyante.
La ligne de Jalal est droite, elle n'en dévie pas, et c'est la force de l'album. Même lorsqu'elle demande avec une tension palpable "Où est la touche pause de mon cerveau" (ce qui est la question la plus pertinente de nos temps insupportables...), elle se tient debout, comme les protagonistes de la révolte de 2011, auquel elle rend un vibrant hommage. A ses côtés, Chaib au saxophone cette fois à des accents coltranien dans son jeu fait de coups de boutoir.
Là encore, l'impression de trop plein de mauvaises nouvelles est transformé par l'orchestre en un chant de lutte future, appuyé par le drumming coloriste de Dolmen qui s'accorde à merveille avec la contrebasse impeccable de Mátyas Szandai.
Arnaud Dolmen est le nouveau venu de l'orchestre, inchangé depuis le précédent album. Il supplée Francesco Pastacaldi sur cinq morceaux, dans un style assez voisin, qui laisse beaucoup de place, ou nourrit la colère, comme "Ain Jalout", où il soutient la flûtiste dans une algarade avec la guitare d'Hochapfel, lointaine et menaçante comme des avions lointains.
Il y a des phrases musicales récurrentes dans cet album, comme des mantra qu'on se répète comme pour rester debout. C'est ce qui donne aussi à ce disque un souffle d'espoir qui semblait pourtant, au regard du sujet, une gageure.
Comme elle l'a fait dans le récent Golan de Hubert Dupont, Jalal arrive à transcender une musique qu'on pourrait banalement ranger dans la catégorie "du Monde" mais qui est bien plus que ça. Un chant universel et intemporel sur la capacité à être vivant et résilient sans perdre une once de sa rage.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...