Sylvie Courvoisier & Mary Halvorson - Crop Circles
La rencontre est inédite, mais en aucun cas surprenante. Elle est même, on peut le dire sans hésitation, naturelle. Ou pour le moins, logique. C'est dire toute l'excitation qui entoure Crop Circles, le disque de la pianiste suisse Sylvie Courvoisier et de la guitariste américaine Mary Halvorson. Une excitation fébrile, qui fait s'agacer plus que de coutume dans le déballage toujours pénible du plastique sans opercule qui enferme l'objet.
Invention de Satan.
Autant le dire immédiatement. La musique est à la hauteur de l'attente. Les deux musiciennes ont des univers fort, très personnels, et un sens de l'improvisation très affutés. Ce sont également deux des discographies les plus affolantes de la période. Les regarder conjointement, c'est convoquer l'avant-garde. De Mark Feldman à Anthony Braxton, de Vincent Courtois jusqu'à Marc Ribot, tout le monde est là.
Dès "La Cigale", belle composition de Courvoisier, on sait que ça fonctionne. Qu'il n'y a pas besoin de round d'observation. Leur unisson travaille une sonorité étrange, profonde, pénétrante, à peine troubler par des petites altérations qui affolent l'oreille : un piano malicieusement préparé qui sonne soudain plus mat. Une attaque aussi rapide que perçante sur les cordes de la guitare. Une sensation de légèreté agile et frondeuse qui n'a même pas besoin de chercher la provocation ; le duo déroule, comme s'il avait toujours joué ensemble.
Pas mal pour une première rencontre.
Le background et la connaissance érudite de l'environnement de chacune rend le dialogue intense et inédit. C'est bien cela que défend les Crop Circles : des organisations géographiques parfaites mais visiblement spontané qui demande en réalité beaucoup de préparation et une grande concentration. Ecoutons la tentation chambriste de "Absent Across Skies".
La composition d'Halvorson est sans doute le point culminant de cet album. Le piano sonde les profondeurs pendant que la guitare flotte dans ses limbes habituelles, à la fois cristallines et contondantes, avec une volonté de creuser dans des racines communes qui dépasse largement le jazz et la musique improvisée. Il y a un paradigme classique évident qui offre une grande complexité, notamment lorsque les échanges s'intensifient.
Les tensions s'exacerbent parfois ("Water Scissors", courte miniature à fleuret moucheté), mais ils ne se durcissent pas. Les deux musiciennes goutent manifestement leur échange et se pousse dans leurs retranchement sans chercher à dominer. Il y a un partage, une parité, voire une communauté évidente.
Dans ces univers qui se frottent en cercles concentriques, qui ne cèdent rien de leur particularité tout en essayant de choyer l'autre, rien ne se perd en palabre. Le magnifique "Woman in the Dunes", joliment abstrait et poétique en est le brillant exemple : le piano jouent ensemble chacune avec leur univers qui se caressent par instant et s'unit sans difficulté. Sylvie Courvoisier a l'habitude des duos, sans doute plus qu'Halvorson qui n'aime rien tant que les plus grands ensembles où les connexions peuvent être multipliés. On songe parfois, pas dans le propos mais plus dans la confrontation d'univers à cette rencontre entre la pianiste et son compatriote Lucas Niggli.
Crop Circles, paru sur le label Relative Pitch est en tout cas l'une des belles surprises de cette première moitié de l'année. Il faut se précipiter !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...