Arthur Decloedt - Música de Selvagem
Música de Selvagem, musique de sauvage... J'ai l'impression d'entendre ce que nombreux d'entre nous ont pu entendre dans leur primesautière jeunes.
Musique de sauvage, pas normative.
Musique revêche, pas lustré dans le sens qui fait doux. Musique d'inadapté, qui fait diverger tout le cerveau et peut faire même entendre de la musique jusque dans les sons.
Pis, les bruits !
Mais musique libre avant tout, libre et agile, pleine de force et de fierté. Musique voyageuse et bienveillante. Musique de sauvage, sans doute, mais avec style.
C'est exactement ce que propose le contrebassiste Arthur Decloedt sur ce court album enregistré en quintet avec des musiciens brésiliens que nous nous faisons un plaisir de découvrir. Música de Selvagem est paru l'année dernière sur le label belge El Negocito Records, jeune maison récemment découverte et qui recèle de petits bijoux (on aura l'occasion d'évoquer un duo Jacquemyn/Evans dans quelques semaines par ailleurs).
On connaît Decloedt pour sa participations aux orchestres de Stéphane Tsapis, que ce soit Kaïmaki ou son trio pour Charlie & Edna. Contrebassiste très ample, discret mais très élégant, il fait merveille entouré de ses nouveaux camarades. Il y a un attachement assez évident du quintet pour les statues du commandeurs du Free. Principalement Ornette Coleman, auquel on songe dès « Isto é adoniran », mais aussi Charlie Haden période LMO, racine apparente dans le formidable « Pandion Haliaetus ».
Dans ce morceau qui est sans doute le point culminant de ce bel album, la batterie de Guilherme Marques bat la chamade pendant que les cuivres déambulent avec un mélange très subtil entre dignité et lyrisme. Filipe Nader au saxophone alto sonne comme un appel à la lutte avec une raideur martiale de façade.
C'est tout l'enjeu du disque, avec sa belle pochette qui pivote autour d'un écrou ; La photo pourrait être une déflagration, un champignon de poussière vaporisée, mais ça peut être aussi un nuage qui découvre un soleil couchant mordoré. On est tiraillé sans arrêt entre l'action et la contemplation, bien aidé en cela par des musiciens extrêmement précis.
Au delà de Decloedt, c'est le trompettiste Celio Barros qui tire son épingle du jeu. Excellent trompettiste, très atmosphérique, il brille également au mellophone, qui donne parfois cet air fanfaron à l'orchestre. Mais ce qui est important ici, c'est la dynamique collective. Le quintet est uni, s'offre peu d'échappées soliste et travail les images chaleureuses qu'il suscite de manière très compact. « Folivora », divagation pleine de douceur de Decloedt donne ainsi une sensation de flottement de soufflants et soufflants, avec la contrebasse nonchalante qui égraine un rythme pourtant soutenu.
Nader et Decloedt se sont rencontré à Bruxelles. Même si le retour au Brésil a permis cette musique, elle évite absolument l'attachement quelconque à un folklore brésilien. Certes, la musique est métissée, mais elle l'est par l'improvisation sans entraves. Musique de sauvage alors, vraiment ? Musique sans filtre, à n'en pas douter, qui ne se focalise pas sur une joliesse souvent mièvre et favorise une forme de beauté brute. On adore.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...