Samuel Blaser & Marc Ducret - Voyageurs
La complicité entre le tromboniste Samuel Blaser et le guitariste Marc Ducret est ancienne et largement documenté. On se souvient de Boundless avec Gerald Cleaver, ou d'un récent trio live avec le batteur Peter Bruun. Ducret est l'un des meilleurs catalyseur de la carrière de Blaser, qui est porté depuis longtemps au pinacle, et c'est toujours passionnant de les entendre ensemble.
Malgré tout cela, il n'y avait pas d'enregistrement de la guitare électrique et du trombone ensemble, seuls tous les deux et improvisant dans une bulle ; il faut remercier Jazzdor et le label Jazzdor Series pour avoir permis ceci. Voyageurs est un disque qui s'écoute avec le sourire aux lèvres et la certitude d'avancer dans une cartographie certes connue mais sans cesse renouvelée, voire totalement inédite lorsque sur "Des Etats Lumineux", le trombone de Blaser va chercher dans les graves rocailleux une guitare furieuse et souterraine, pleine d'acrimonie et de frappe sèche pour la mettre au coeur d'une mélodie simple et crue.
Ce morceau de lumière, comme son nom l'indique, est le morceau le plus long de l'album, le plus versatile aussi, celui qui va chercher au plus profond de la relation duale, là où les musiciens ne sont pas en opposition. Ducret et Blaser ne le sont d'ailleurs jamais, tant il y a une synergie entre eux.
Même dans le plus minéral des Etats.
Le dialogue ne se rompt jamais. Il se renouvelle même toujours, dans une grammaire commune aux deux instrumentistes. Si on avait oublié que guitare comme trombone sont des instruments microtonaux, "The Rain Only Drums at Night" nous le rappelle de la plus crue des manières. Le trombone est une merveille de legato à la coulisse, le son frôle le growl tout en conservant une note puissante, pendant que Ducret s'affaire en rythmiques circulaires, prêt à jaillir mais restant toujours en tapinois, attendant que Blaser le remplace pour faire aussi soudainement que possible parler les watts.
Jusqu'à cette fin magnifique ou Blaser retrouve un mouvement que Ducret accompagne en virevoltant.
Enregistré en 2018, ce duo est, on s'en aperçoit maintenant ce qui a sans doute déclenché le besoin de Blaser d'agir en solo. Il y a dans Voyageurs comme une libération, c'est un disque de passeur, un disque initiatique. Pas seulement pour le plus jeune des deux. Ce qui est intéressant aussi, c'est que Ducret s'adonne au temps court ("Morse"), tout en conservant cette puissance évocatrice et narrative qui fait depuis longtemps son jeu.
Voyageurs est un disque de l'intime, Blaser et Ducret se livrent avec beaucoup de douceur, malgré toutes les aspérités qui se dressent sur une musique nécessairement rèche. C'est un disque d'amitié. Une oeuvre rare
Et une photo qui n'a strictement rien à voir