Madeleine & Salomon - Eastern Spring
Quand on débarque dans un album de Madeleine et Salomon, on a du rêve qui colle aux souliers. On avait à peine fini de se déshabituer des mélodies de A Woman's Journey, le premier album du duo français que nous arrive Eastern Spring, un album encore plus personnel, plus intime et tout aussi pénétrant. Il visite tout un pan aveugle ou du moins méconnu de la pop méditerranéenne des années 70 et 80, celle des foyers de travailleurs migrants et des prémices de la sono mondiale ; celle qui a construit bon nombre de cultures musicales dans les foires à tout.
La voix de Clotilde Rullaud, on ne s'en remettra vraiment jamais.
Elle est puissante, aussi tannique qu'elle est pleine de velours, avec une capacité rare à habiter une tessiture qui évoque -évidemment- Colette Magny, mais aussi de loin en loin Catherine Ringer, tout en restant totalement unique.
"Ma Fatsh Leah", une chanson égyptienne est pleine d'une soul d'origine incontrôlée, avec le piano si malin d'Alexandre Saada qui fait merveille dans son approche aux atours classiques, ce qui ne l'empèche pas de faire parler une main gauche lourde, puissante, pleine de groove dans "Komakan Kon", avec un puissante camaraderie avec sa complice chanteuse, également flûtiste quand le temps s'en fait sentir.
Ce qui est fort avec Madeleine et Salomon, c'est cette capacité à rester très politique même dans le rêve éveillé (pour reprendre les mots de l'ami Denis Desassis dans Citizen Jazz) que constitue "De L'orient à orion", une chanson aussi poétique qu'ancrée dans le sol de la réalité.
C'est la douce nouveauté de Eastern Spring, avec l'adjonction de quelques traitements électroniques de Jean-Paul Gonnod dans les "Rhapsodies" pour laisser l'imagination voguer dans un orient qui n'évoque pas les palais de cocagnes, mais davantage le plaisir du voyage, le désir de l'altérité.
On est ravi aussi d'entendre Madeleine et Salomon s'immiscer dans la formidable musique populaire turque, d'une richesse rare, avec le très beau "Ince Ince Bir Kar Yagar", où Clotilde Rullaud habite totalement la chanson, lui donne une dramaturgie que le piano de Saada souligne avec justesse et que Rullaud revisite à la flûte ; on a la même énergie dans le magnifique "Dere Geliyor Dere", qui se mèle avec quelques saveurs séfarades dans une unité indispensable mais rêvée du bassin de la mère des mers.
Eastern Spring est la soeur jumelle hétérozygote de A Woman's Journey, le premier album du duo. Une prolongation magnifique et une déclaration d'amour à une musique d'inspiration mondiale.
Si vous n'avez pas le coeur qui bat après celà, c'est qu'il vous manque des organes.
Et une photo qui n'a rien à voir...