Alban Darche & Loïs Le Van - Les Mots Bleus
Il faut s'en tenir à un axiome : il n'y a pas de mauvaises chansons si elles peuvent être travaillées, triturées, ralenties par un orfèvre du jazz et un chanteur à l'encan.
Prenez ainsi Alban Darche et une chanson de Radiohead, on peut se dire que partant, le challenge est d'ampleur. Radiohead, c'est pédant et insupportable, mais Alban arrive à mettre "Fake Plastic Trees" à sa main avec Loïs Le Van à la voix et une troisième lame, la harpiste Emilie Chevillard. Il suffit d'un souffle à l'unisson du chanteur et quelques cordes parsemées pour que ce soit le coeur de la chanson qui apparaisse. Un joyau simple, presque sobre.
Quelque chose d'imaginable à Thom Yorke.
Les Mots Bleus est un petit bijou inattendu ; voici des années que j'écoute les album de Loïs Le Van en me disant qu'il a un univers formidable mais que je peine à y pénétrer pleinement : une voix douce, traînante, au timbre intrigant. Il me fallait une clé : cette clé c'est le saxophone ténor d'Alban Darche, qui travaille avec Le Van dans le Mirifique Orchestra et qui lui propose ici le plus beau des jeux : visiter l'intime de la chanson "pop" avec un invité tournant.
Un Alban Darche qui continue ainsi son travail sur la musique populaire entamé avec son Orphicube.
Un trio inconnu qui modifie l'approche particulière sans changer le travail global. Ainsi, parmi les invités, on trouve Sylvain Rifflet dans le classique de Broadway "I'll Seing You" où il propose ses slaps reconnaissables entre mille, mais aussi Yonathan Avishaï au piano sur une fascinante interprétation des "Mots Bleus" de Christophe qui donnent le nom à l'album.
Des Mots Bleus, des mots dont la scansion même par Loïs Le Van en change la structure musical et par là même son sens profond. De la bluette écrite par Jean-Michel Jarre, on oublie la version pleurnicharde pour une version assez solaire, gonflé d'une forme de colère où Darche laisse la voix et le piano très en avant.Il y a dans les choix musicaux des vrais prises de risques et des réussites profondes : on est heureux par exemple de voir Paul Jarret et sa guitare s'attaquer au "Old Man" de Neil Young dans une version très lumineuse ; il en est de même pour "Si J'étais un homme" de Diane Tell qui connaît ici une de ses plus belles versions avec la guitare de Nelson Veras.
La chanson est belle, elle prend une autre dimension ici avec une approche très caressante de Darche qui s'empare du thème pour laisser le guitariste enluminer le reste. On le disait, la preuve formelle d'une chanson qui fonctionne, c'est cette capacité à s'en saisir sans s'en moquer, et que ça marche toujours.
CQFD, sur la plupart des morceaux.
Oui, même "Karma Police".
La plus belle réussite des Mots Bleus, cela reste sans conteste la reprise de "Don't Speak" de No Doubt/Gwen Stefani, avec de nouveau un guitariste, en l'occurence Alexis Thérain. Il y a dans la voix nonchalante de Loïs Le Van quelque chose d'idéal pour cette bluette qui là aussi trouve des habits neufs. Le travail rythmique d'Alban Darche y est parfait, mais la structure générale de la chanson est tenue par un chanteur dans son exercice que l'on imagine favori.
Paru chez Yolk, Les Mots Bleus fait partie de ces disques qui restent sur la platine et que l'on vient picorer avec plaisir. Une vraie réussite.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...