Modney - Ascending Primes
Nouveau phénomène de la scène étasunienne, le violoniste Joshua Modney, dont le nom de scène a fait l’abstraction de son prénom est l’une des dernières lames du renouveau des cordes de l’autre côté de l’Atlantique.
Avec Citizen Jazz, je l’ai largement documenté, avec Jessica Pavone ou Tomeka Reid, bien entendu, qui font figure tutélaire dans cette petite famille, mais plus surement avec Erica Dicker, Mariel Roberts, Gabby Fluke-Mogul ou Joanna Mattrey, cette dernière étant sans doute la pépite ultime de cette scène majoritairement new-yorkaise par une science ultime du geste.
On retrouve bon nombre de ces musiciens sur Ascending Primes, un album de Modney paru chez Pyroclastic Records à envisager comme une forme de panorama. Voyez plutôt : tout commence avec « Ascender », solo très concertant de Modney au violon qui joue sur le fil d’une dissonance tutoyée, qui tient en éveil. Le violoniste joue avec l’électricité, explose sans rien perdre en route, comme tout un combat intérieur.
Le résultat est assez puissant et s’inscrit dans un travail qui gagnera en consistance à mesure que des comparses le rejoignent, à l’image de « Everything Around it Moves », joué avec un quatuor à cordes augmenté du piano travaillé aux entrailles de Cory Smythe. Là aussi, la tension est partout, entretenu par des cordes joué comme des coups de fouets (Mariel Roberts centrale au violoncelle, Kyle Armbrust à l’alto… On avait entendu ce dernier chez Ches Smith, nulle surprise) et adouci, transporté par un jeu très atmosphérique de Smythe.
Les deux musiciens travaillent depuis longtemps ensemble, on avait entendu Modney sur Smoke Gets in Your Eyes, mais sur ce morceau, c’est une autre compositrice auquel on pense. Anna Webber a beaucoup influencé Modney, notamment sur son travail autour de l’intonation juste, le nouveau totem de la composition américaine, et cela se ressent ici. Sans cependant que le propos se perde en démonstration ou oublie une urgence absolue.
Modney reste sur sa crête, et le reste du morceau, le plus long de l’album traverses différents climats sans perdre de sa vitalité. La relation avec Smythe, la capacité de ce dernier à amener le propos de l’orchestre vers une forme de mélancolie, sur une atmosphère nocturne est remarquable, et le talent de Modney est de ce nourrir de cette dynamique
« Everything Around it Moves » est un morceau extrêmement construit, qui transporte et auquel on adhère absolument.
En effet, l’intérêt croissant de Modney pour les compositeurs à cheval sur les musiques improvisées et l’écriture contemporaine se ressent tout au long d’Ascending Primes ; on sait l’intérêt de Modney pour Braxton, lui qui a déjà travaillé avec Ingrid Laubrock sur son gigantesque Dreamt Twice, Twice Dreamt. On ne s’étonnera pas dès lors de retrouver le compositeur et électronicien Sam Pluta, qui a longtemps travaillé avec Braxton sur « Linx » aux atours spectraux.
Mais c’est avec « Fragmentation And The Single Form » que Modney montre tout son talent d’écriture avec une équipe renforcée : Ben Lamar Gay au cornet, Kate Gentile à la batterie ou encore le très braxtonien Dan Peck au tuba ; de tuttis de cordes fuligineux aux lour combat de l’électronique avec les soufflants, la suite en quatre mouvements est sans doute la plus intense, d’autant qu’on retrouve la vocaliste et électronicienne Charmaine Lee (qu’on avait découvert avec Mattrey) comme actrice d’un chaos très ouvragé, où l’acidité des cordes se heurte à une électronique fièvreuse et une batterie puissante.
Dans cette lignée, « Event Horizon » où l’on retrouve Nate Wooley et Joanna Mattrey clôt un album mature et luxuriant qui illustre une autre facette de cet âge doré des cordes américaines qui font d’Ascending Primes l’un des albums les plus important de cette année 2024.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...