Camila Nebbia & Angelica Sanchez - In Another Land, Another Dream
Poser comme postulat que Camila Nebbia est l’une des meilleure improvisatrice de sa génération. Certes, on n’est pas à la foire au boudin, il ne s’agit pas de peser son musicien et de comparer les prix, mais convenons que depuis plusieurs la saxophoniste argentine enchaîne les disques -et les collaborations- absolument excitantes.
Jamais nous n'avions parlé de Camila en ces pages, favorisant un travail sur le long terme sur Citizen Jazz.
J’ai la chance d’avoir pu suivre ses aventures très tôt, avant son arrivée en France puis en Suède avant son installation en Allemagne, et on a le sentiment d’une progression qui n’a pas de limites ; le son de son ténor est puissant sans être dévastateur. Il y a dans son jeu une sensation d’équilibre, voire de droiture : Camila sait où elle va et les tangentes qu’elle prend on l’art de toujours aller vers l’avant.
C’est ce qui impressionne d’abord chez Camila : le son. Dans ce présent album avec Angelica Sanchez paru chez Relative Pitch, l’un des labels les plus excitants de la période, on peut goûter ce timbre délicieusement sablonneux dans le très beau « Traces », où le ténor semble entraîner un piano aussi agile que puissant dans une course tortueuse. Jamais cela n’explose dans une colère erratique, la musique est contenue, incroyablement bien construite, mais pleine d’une fougue entière.
Ces deux musiciennes se sont bien trouver, la pianiste New Yorkaise à la discographie tout aussi hallucinante (elle est membre de l’Exploding Star Orchestra de Mazurek, on l’a entendu avec Marylin Crispell ou dans le Tri-Centric Orchestra de Braxton en 2011… De la même façon qu’on rêve secrètement d’entendre Camila Nebbia aux côtés de Braxton, on constate que Sanchez est passée par ces fourches caudines-ci) a bien des points communs avec Camila Nebbia.
La grande rigueur d’abord, et ce talent pour bâtir ; sur nombres pochettes de ses albums, et In Another Land, Another Dream n’y fait pas exception, il y a des bâtiments. Des maisons, des immeubles. Il y a dans la musique de Sanchez la passion de l’architecte dont la nervosité serait l’aplomb. Ecoutons « Vislumbre », et ce sentiment de ligne droite et de perspective qui naît pourtant d’un crayonné fébrile : alors que tout est d’une folle intensité, ce qui en ressort est une netteté sans appel. A l’instar du reste de l’album, le morceau est puissant et vertigineux.
Une des grandes qualité de Camila Nebbia est bien de savoir instaurer tout de suite une complicité avec ses comparses. Le jeu très percussif de Sanchez aurait pu inviter à la surenchère, mais Nebbia propose l’agilité. « All Rivers at Once », en toute fin d’album est à ce titre exemplaire ; tout commence dans la douceur et le souffle, incite le piano à se faire plus concertant, mais quand la vague d’une main gauche fracassante tente de prendre le dessus, Camila hausse le ton d’une pirouette, accompagne sans heurter.
Le duo aurait pu se contenter d’une joute, d’un pugilat sans limite, il préfère la construction commune, la joyeuse fondation entropique. Il en résulte un des beaux souvenirs de l’année, aux côtés d’autres disques de Camila Nebbia dont on pourra dire que 2024 fut une fête. C’est aussi un disque d’équilibre voire d’équilibriste au sommet de la musique improvisée. Inconditionnellement l’un des grands moments de l’année.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...