Le single, ennemi de la musique ?
Il y a longtemps que nous avons parlé d'économie du disque sur ce blog, question obérée par Hadopi, dont il presse de voir les démêles ridicules en septembre.
Cependant, la situation n'est pas plus réjouissante, tant à cause des arguties d'une poignée de lobbyistes bornés qui ne veulent rien changer à leur modèle économique mortifère que du fait d'une standardisation absolument effrayante.
Les systèmes de licence globale doivent permettre d'arrêter la grande hypocrisie de "la perte de sous à cause des méchants pirates", à condition d'une bonne redistribution entre tous les artistes et d'un soutien à la production d'artistes de marge (c'est à dire à inventer). Cela doit également permettre aux artistes de contrôler la qualité des fichiers numériques, pour que leur travail ne ressemble pas à un brouet infâme de médiums écrêtes... On ne va pas reprendre la discussion stérile sur les différents formats. Je sais qu'il existe des formats moins destructifs que le MP3, mais ils ne sont pas majoritaires, loin de là, et ne tiennent pas la route sur du matériel professionnel où pour des auditeurs exigeant qui cherchent autre chose qu'un fond sonore ou qu'une écoute récréative ou bourrine.
J'utilise régulièrement un lecteur "MP3" depuis mon départ au Japon (j'en ferai un billet avant la fin de l'année) et je perçois tout de même de cruelles différences sur les profondeurs des cuivres ou les subtilités des basses, même avec un très bon encodage. Le MP3 ou autre restent des formats de compromis pour le baladeur, pour une écoute distraite... Et une écoute prolongée et habituelle est destructive pour l'oreille... C'est un professeur de Standford qui le dit... Fin de la parenthèse.
Plus inquiétant, cet article de Rue 89 évoque la nouvelle lubie de l'industrie -avec Radiohead en tête de pont (de pont) comme caution arty snobinarde puisqu'une fois ils ont sortis dans un album un son électronique dissonant avec un synthé déréglé... Ils ne veulent plus de "la corvée du cirque créatif de l'album, pauvres choupinous- qui consiste à vouloir sortir du format album revenir au format single. On trouvera bien sur toutes les meilleures justifications du monde, des plus méprisantes ("les gens de toutes façons ils s'en foutent") aux plus sincères mais à courte vue ("les artistes seront plus près de leur public en diffusant des nouveautés plus régulièrement").
Foutaises.
C'est avant toutes choses une régression artistique... Comme je le dis dans une courte intervention sur l'article de Rue 89, c'est un sacré retour en arrière dans la musique populaire, corrélé par
l'élevage en batterie de « vedettes transgéniques » par les fermiers
TF1/M6. C'est le grand retour des yéyés, en fait, de la star d'une
chanson, de la copie conforme de ce qui marche ailleurs…
Le problème c'est le côté biaisé du débat : quand on essaye de l'amener sur le plan artistique, on répond format, encodage, portabilité, fréquences. Ca me rappelle les discussions des prépubères qui passaient leur samedi après midi dans les allées de Darty pour comparer les bandes passantes des chaines hifi et qui aimaient Pat Méthény non pas parce qu'il jouaient bien, mais parce qu'il jouait vite. Dès qu'on essaye d'évoquer un projet artistique, une sensibilité, un oeuvre, on nous parle de ko/s, de home studio et de possibilité d'entendre la chanson tout de suite... L'inquiétude est pourtant ailleurs dans le tronçonnage en singles, au delà du fait que les marchands de soupe essaieront également de l'imposer aux musiques instrumentales : c'est l'absence absolue de continuité conceptuelle de l'œuvre et d'ordonnancement de la musique.
Bref, une absence absolue de sens au profit de la consommation. Et par là même une difficulté supplémentaire à se faire une vraie culture musicale construite dans la durée à cause de l'instauration d'un zapping compilatoire. Les compiles faites à la maison avaient vocation à faire découvrir des albums aux destinataires où à animer des fêtes.
Si le single devient la norme, fini les albums qui nous prenaient par la main vers d'autres musiques par la construction d'une atmosphère... Pour s'en convaincre, prenons les albums des Beatles : sans queue ni tête ni intérêt musical à l'époque des singles compilés (with the Beatles), l'oeuvre prend une véritable recherche et une véritable importance au moment de Revolver, après que le groupe se soit mis à construire une cohérence d'album (Merci, monsieur Martin !) pour finir sur des véritables concept qui brillent par leur cohérence.
On pourra toujours répondre que c'est déjà comme ça et que désormais, des groupes comme Coldplay vendent déjà des compilations tièdes comme une endive moite sous le nom d'album, et qu'il restera toujours les artisans pour faire du travai soigné... Mais ce sera de plus en plus dur. on n'a pas fini de présenter tous les pires lessives comme les successeurs de Mozart ! Comme le dit un commentaire de Rue89 d'une manière bien plus lapidaire que moi : tant qu'on aura pas compris que "art" ne rime pas avec "consommation", c'est toute la musique qui sera en danger !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...