So long Camille
Rouen a un problème avec son fleuve, c'est un fait acquis. Quand elle ne le prend pas pour un parking à bateaux qui semblent punis loin de la mer, comme en cale sèche de voyage, elle y fait tourner des sous-vedettes sur le retour dans des gouffres à essence. Pour ces derniers qu'on se rassure ; les véhicules vrombissants étant aussi surannés que leurs pilotes, la course à laquelle ils participent tous deux se dispute entre mépris poli et oubli durable. Il faut bien qu'il y ai quelque chose de durable en tout cela.
Cependant, nous nous sommes réveillé un matin, et la longue saignée tortueuse commerciale et verdoyante avait quitté sa morne livrée grisâtre et Camille brillait de mille feux dans le soleil levant, donnant presque aux bouses institutionnelles représentant des marins n'ayant jamais foulé les lieux une miette de charme -au sens du thon en boîte-.
Pour une fois, ce n'était pas l'énième foire au serpent-qui-fait-peur ou au requin-nain-sous-cloche qui animait les quai pelés du centre-ville. Ce n'était pas non plus les tavernes graillonnes ou la fête à neu-neu, le cirque aux animaux harassés ou le paradis des camions qui refusent de monter sur des trains.
C'était juste une construction posée là gratuitement juste pour être belle et danser dans le soleil. Une œuvre éphémère pour montrer au fleuve qu'il sait être coquet et qu'à l'utile il sait ajouter la poésie du futile. Que ceux qui n'ont pas vu la beauté de Camille dans cette impression soleil levant moderne et claquant son orange entre les ponts besogneux se paient un peu d'ouverture d'esprit et l'envie de sortir de leur voiture pour profiter d'un pont piéton sur la Seine.
Ce matin je passais sur mon pont quotidien et une pince brisait la structure de Camille, et franchement le haut-le-cœur m'a pris. C'est triste une éphémère qui s'éteint, et c'est dommage de ne pas l'avoir laissé juste un peu pour prolonger l'été, la laisser se vermouler sous la pluie et que l'orange se pique de mousse avant de l'éteindre doucement. Mais la date c'est la date sans doute. On ne fait pas patienter les automobilistes.
Sur le pont, quelques esthètes de téléviseurs, piaffant de se faire des queues-de-poisson sur ce pont devenu trop tranquille devisaient. Ça glosait sec sur le prix et le bois qui aurait pu servir à construire on-ne-sait-quoi-mais-quand-même. Sur le fait que quand-même "ça servait à rien" avant d'aller s'acheter une pierrade ou une oreillette bluetooth, tellement plus fonctionnelles. A ce stade, le risque de misanthropie est fort, et le casque s'avère nécessaire.
En rêvant de Nantes ou les bords de Loire ouvrent manifestement un peu plus les esprits.