Culture pour tous
Ainsi donc, nous aurons été mauvais clerc.
A quelques jours d'un remaniement dont on peine à comprendre pourquoi il n'apparait pas, au même titre que le poker ou les matches de football sur la foultitude de sites de paris en ligne censés occuper le bon peuple et provoquer des plans de surendettement, notre ministre en papier bible que l'on croyait juste là pour le décor et assumer une loi Hadopi comme on demanderait au garagiste d'assurer une fournée de pain nous sort une phrase qui fait planer le pire sur la Culture en France. Il était un des rares à n'avoir pas assumé officiellement sa part de casse du modèle social à la française. A quelques jours d'être probablement remplacé par un bonnet de nuit napoléonien, il était temps.
Le truc des conseillers du président de notre ministre, c'est La Culture pour chacun. C'est beau comme une chanson de Michel Sardou.
La voilà donc, "La Culture pour Chacun" dont il parlait déjà en début d'année. Cette "culture pour chacun" censée supplanter la satanée "Culture pour Tous" de ce gauchiste de Malraux (ah bon ? Ah non ?) et ses Maisons de la Culture. Bienvenue donc à la Culture pour Chacun qui permettra de combattre l'élitisme et l'exclusion sociale. On nous aura habitué, depuis 2007 au moins, à vider les concepts de leur substances pour finir par faire passer les pires reculs comme un bond en avant de l'Humanité entière ; aussi je vous invite à vous intéresser au discours du ministre... Prenant Internet comme le vecteur de son exposé, appelant Platon et Derrida (mon dieu...) à la rescousse pour comparer la Toile au pharmakon, à la fois remède et médicament, le Ministre en appelle à responsabiliser les nouveaux médias à la propagation des pratiques culturelles, et à la prise en compte des pratiques qui ne sont pas considéré comme élitistes.
Traduisons l'avenir (avec une mauvais foi assumée, mais que j'estime être tout à fait réaliste).
Validation d'une culture à plusieurs vitesses, une culture fainéante qui ne cherche plus à élever mais qui complet les individus dans leur pratique en mettant un panneau "culture" tout neuf, une culture appauvrie pour ceux qui la recherche et fermée pour ceux qui l'évite ; la voilà, la culture pour chacun : faire de la musique contemporaine pour les amateurs de musique contemporaine et du Caruso congelé pour la plèbe. Et bien sur, ne surtout pas offrir les moyens de comprendre pourquoi il y a autre chose que du Caruso congelé. Et puis plus d'aide pour la musique contemporaine qui ne concerne que si peu de gens. Chacun sa culture après tout ; et surtout chacun sa merde. N'oublions pas au passage de désengager l'Etat financièrement en décentralisant au prétexte d'être plus proche du terrain, et de fustiger l'élitisme qui a conduit à "exclure des gens de la Culture" et on aura le tableau parfait d'un abandon de la culture en rase campagne. Comme en Italie. Comme en Angleterre.
La voilà, l'harmonisation européenne.
On passera sur cette conception de la Culture qui consiste à rendre objectivement absolument étanche toutes formes de communication entre les arts et les expressions, et sous prétexte d'attirer les gens à la Culture reconnaître toutes les pratiques culturelles comme égales entre elles... Pour surtout rester dans un confortable quant-à-soi pour les belles choses ! Cette conception de la Culture met le commerce en son coeur avec ses lois qui protège les éditeurs sous prétexte de sauver le droit d'auteur. Cette culture de la transmission unilatérale donne le gage de l'activité culturelle nivelée par le bas, tant qu'elle reste pure dans les salons. l'argument qui consiste à dire que "la culture pour tous, c'est l'adhésion de tous à une seule conception de la culture" est invalide. Car la culture pour chacun, c'est la laisser au diktat des marchands de soupe !
Il faut défendre la Culture pour Tous parce que c'est le rôle de l'État que de soutenir par le mécénat public l'expression minoritaire et la transmission.
Il faut défendre la Culture pour Tous parce que "l'élitisme pour tous" cher à Vitez (et à ce blog) est la garantie d'une expression qui ne soit pas normée. Il faut défendre la "Culture pour tous" pour laisser la "Culture pour chacun" aux initiatives individuelles. Le rôle de l'Etat en matière de Culture est de garantir l'accès à tous à toute la Culture.
Le reste n'est qu'idéologie mercantile, et jamais mon grandiloquent tag Culture en danger n'avait été d'actualité...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir... Enfin si, en fait.