Björk - Biophilia
Björk occupe, dans la galaxie musicale qui a conduit à écrire régulièrement des chroniques dans ce blog une place à part. Une place à la fois lointaine et évidente, à l'instar de Frank Zappa, de Wyatt, et d'autres... Une place au centre ; un point de passage. L'image évidente d'une porosité assumée.
J'étais dans les années 90 accroché à ce que faisait Björk comme une planche de fortune qui me faisait -enfin ?- m'immerger dans une musique en phase séculière avec "ce qui passe à la radio". Ils sont nombreux ceux que je connais qui sont passés à des musiques plus complexes ou à des genres plus en marge après avoir entendus les arrangements impeccables de Déodato ou de Vince Mendoza sur Post ou Homogenic, qui est un mon sens un album majeur.
Chaque album de Björk est évènement qui débute toujours de la même façon sur ma platine depuis le début du siècle avec Vespertine : buzz harassant autour d'un concept fumeux, excitation, déception et finalement adhésion totale. La musique de Björk est tellement tripale et personnelle qu'elle n'est jamais évidente. Elle se doit de séduire et de s'immiscer, de pénétrer l'intime. Ce n'est guère étonnant, alors, qu'elle provoque chez beaucoup de tels effets de rejet.
Biophilia, le dernier album de Björk, n'échappe pas à la règle. j'ai eu du mal au début, et je ne m'en passe plus. Toute l'agitation autour de ce concept de musique sur Ipad avec des animations censé représenter un rapport à la terre ou je ne sais n'est qu'une manière de préparer un autre support pour l'industrie du disque. on pouura dire aisément que c'est un contrefeu. Après tout, Vespertine était l'album de la mobilité, fait au laptop et lancé sur téléphone portable. Ce n'est que du bruit ; passons plutôt à la musique.
Le dernier album de l'islandaise, Volta, était tellurique. Avec Biophilia, Björk revient à une certaine fragilité et à des fondamentaux fait d'électronique et d'inspiration infusée auprès des constructions savantes de l'avant-garde américaine comme Cage ou Berberian. on le remarquera notamment dans l'utilisation du choeur de 24 chanteuses islandaises.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, comme pour Vespertine, on retrouve parmi les musiciens Zeena Parkins avec quatre harpistes. Au milieu du gamelan, les cordes et les cuivres imposants donnent un ton parfois asiatique à Biophilia ("Virus"). Ces musiciens rendent surtout inopérants tous les doctes dicours sur "la musique à l'Ipad".
Dans un morceau comme "Cosmogony" le choeur construit un arrière plan charnel sur lequel la voix de Björk s'épanche. On le remarquera également dans cette version de "Dark Matter" en fin d'album... Il faut parler de la voix de Björk. Malade, elle a failli arrêter de chanter il y a deux ans avant de reprendre le chant de zéro. Ceci ajouté à l'âge venant, sa tessiture est -beaucoup- plus grave, ce qui lui permet d'aller chercher des profondeurs impossibles auparavant ("moon" ou "Hollow" et son orgue mutant...) tout en gardant cette scansion caractéristique et un spectre imposant... Cela ajoute un sentiment d'étrangeté à un album qui renoue avec ses débuts électroniques ; la présence aux claviers de Leïla Arab le confirme. J'avoue -sans honte !- avoir souris béâtement à l'écoute du breakbeat nerveux de "Crystalline"... Ce morceau rappellera peut-être aux plus tarés pointus d'entre nous le morceau "My Spine" présent sur le single bleu de "It's Oh So Quiet"...
A plein d'égard, Biophilia est un album synthèse de 20 ans d'albums solo. A entendre "Nattura", le morceau final de l'album, en forme de cascade heurtée et de retour à Mère Nature, je prendrai bien le pari qu'il s'agit du dernier...
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...