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Sun Ship
Franpi, photographe et chroniqueur musical de Rouen, aime la photo, les concerts, les photos de concerts, la bière, les photos de bière, le Nord, les photos du nord, Frank Zappa et les photos de Frank Zappa, ah, non, il est mort.
Prescripteur tyrannique et de mauvaise foi, chroniqueur musical des confins.
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17 juin 2013

John Coltrane Quartet - Sun Ship Complete Sessions

Je n'ai en général tout sauf une passion folle pour les disques collectors, les imports japonais ou d'autres contrées rêvées. Je n'ai pas un attachement particulier aux boxes commémoratives où aux processions musicales, où la dévotion se mesure à la taille du porte-monnaie.
C'est pourquoi, notamment, je ne suis jamais "tombé" dans les diverses collectes de deniers du culte dans les coffrets annuels de Miles Davis, quand bien même certains, comme celui autour de On The Corner, me faisait de l'oeil. Il semble toujours assez étrange, lorsqu'on est ni chercheur ni exégète, de se pencher sur un work in progress qui aurait déjà été éditorialisé -Le Final Cut-par l'artiste lui même ou par son producteur.
Chaque chose ayant son exception, la récente sortie par Impulse des Complete Sessions de Sun Ship mérite cependant qu'on s'y attache, et ça pas seulement parce que c'est le disque qui a donné son nom à ce blog et qu'il doit être considéré comme l'un des phares inextinguibles de nos musiques. Certes, il y a aussi cette insolente nouveauté esthétique jusque dans la photo de la pochette et ce choix de focus dont je ne me remettrai jamais. Ce disque, c'est de l'écriture avec la lumière, strictement comme la photographie...
Mais ce disque est particulier pour deux raisons primordiales : il ne s'agit que d'un double album au prix raisonnable ; et puis surtout, en tant qu'oeuvre posthume, l'éditorialisation de Sun Ship avait été réalisée par Alice Coltrane et Bob Thiele : cette Complete Session permet de juger de la fidélité apporté au travail du saxophoniste. Enfin, le matériel brut ainsi présenté permet d'appréhender tout le travail nécessaire pour arriver à une telle spontanéité de la part du quartet.
La première prise de "Sun Ship" à ce titre riche s'enseignement. On y apprend que le titre aurait pu s'appeler "Yeh", ce qui est moins évocateur sans doute de la puissance tellurique, du souffle, de la Révolution qui porte ici son double sens Esthétique et Astronomique. On y découvre aussi une longue montée en puissance du ténor, pour arriver à ce qui est sans doute un modèle de rage contenue, dans la quatrième prise. La bonne. La définitive. Disons le, la légitime. Cette impression de lutte infinie contre son propre thème, de choc physique avec la métaphysique de sa musique n'est donc pas immanente, elle est le fruit d'une action collective.
Il y a une tendance à croire la musique de ce quartet cannibalisé par le génie de son leader ; si l'écoute de l'ensemble des disques de la formations devraient suffire à s'en dissuader, le présent double album remet les choses en place, et rappelle le rôle prépondérant des trois autres musiciens dans la fluidité d'une musique qui est sans doute à son apogée en terme de cohésion, de puissance et d'inventivité. Au zénith, le mot est facile, mêm s'il s'agit aussi ici d'un crépuscule.
A ce titre, c'est tout à fait intéressant de voir un peu plus directement comment la musique circulait au sein du classic quartet. On pourrait rester indéfiniment sur le morceau titre, mais écoutons le très lyrique "Amen" et ses deux versions si différentes, la première semblant plus sage, plus retenue... En détaillant, on découvre la différence de jeu de McCoy Tyner et d'Elvin Jones, plus terre-à-terre, moins abstraite dans cette première prise, ce qui ne donne pas l'élan nécessaire à Coltrane pour ce lancer dans cette célèbre tirade. Le jeu en devient plus heurté, plus monochrone, moins imposant.
On passe dans cette Complete Version comme dans un jeu de piste, à retrouver notamment sur "Attaining" le travail de passementerie fait en studio pour retrouver le morceau tel que nous le connaissons depuis toujours.
Cette sortie n'est pas un gadget. C'est sous nos yeux l'occasion de rentrer dans le secret, l'intimité de l'un des orchestres les plus créatif du XXième siècle.
Sun Ship est à ce prix.

Je mentirai en disant que la photo n'a rien à voir. Je m'étais promis d'emmener en Laponie deux disques pour le soleil de minuit : Heliopolis d'Alexandra Grimal et Sun Ship de Coltrane. C'est chose faite. Deux fidèles compagnons...

IMG_1573

Commentaires
F
Bel échange messieurs, qui me ravit (encore ! Encore !)<br /> <br /> Je penche pour Freddie, évidemment (le blog ne s'appelle pas "Impressions" et le seul autre nom qu'il aurait pu avoir, c'est "Peaches In Regalia", autre référence :-D !)<br /> <br /> je pense Stéphane que tu devrais lire le booklet, si tu en as l'occasion, tout y est expliqué, cette volonté de Trane de toujours pousser le quartet à enregistrer, jusqu'au point de ruptures qui aura lieu d'ailleurs quelques semaines après. A peine enregistré, Trane passait à autre choses et Thiele pré-sélectionnait pour les sorties. On peut décemment imaginer qu'il n'a pas à priori sélectionné une session aussi radicale pour 65 -encore une fois-, d'autant qu'il ne l'avait pas lui-même enregistré :)
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F
Le fait que ce ne soit pas un vulgaire bootleg comme il en paraîtra beaucoup dans les années 80 et 90 + le fait que la famille ait donné son accort ou participé à cette édition = justifient pleinement cette réalisation à mon avis. Dans l'histoire du jazz, il y a quand même eu pas mal de galettes qui nous sont arrivées sur le tard. En vrac, le fameux Etcetera de Wayne Shorter (enregistré en juin 65 et sorti dans les bacs en 1980....), les bandes du Plugged Nickel de Miles (enregistrées en décembre 65) et publiées en 75 sous la forme d'un double LP, puis en 1991 dans un coffret somptueux (par les japonais d'abord), puis en 1995 comme chacun sait (coffret européen et américain). Miles était bien décédé et pourtant, la maison de disque Sony en a fait un enregistrement officiel. Pour Sun Ship, c'est pas la même histoire, mais disons que ça procède quasiment du même scénario : l'enregistrement a une légitimité du moment que le label officiel le sort. Et puis une oeuvre, comme disait Duke Ellington elle n'appartient plus à son créateur, mais au public. Et pour le cas de Sun Ship, c'est écouté et approuvé par les mélomanes les plus sérieux.... Le reste n'est que verbiage... ;-) <br /> <br /> Mon top 5 du quartet classique de Trane <br /> <br /> 1. Sun Ship<br /> <br /> 2. A Love Supreme <br /> <br /> 3. Transition (lui aussi est sorti bien des années après la mort de J.C.)<br /> <br /> 4. The Quartet Plays <br /> <br /> 5. Coltrane<br /> <br /> <br /> <br /> See ya
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S
Il me semble que tu refais un peu l'histoire cher Freddie ! Personne n'a la preuve que Coltrane souhaitait vraiment ce disque (sauf erreur de ma part). Le fait que la musique soit là (une musique qui nous plait mais pas nécessairement la musique que Coltrane souhaitait) suffit pour toi à justifier le disque ? Comme tu le soulignes, Coltrane est passé rapidement à autre chose. Pour lui le sommet de ce quartet se situe peut être avant...
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F
Désolé d'intervenir ici, mais la question ne se pose même pas ! La musique est là, point barre ! Ils l'ont enregistré, c'est déjà suffisant ! Mieux, c'est un sacré cadeau! Perso, je n'en ai rien à foutre que Trane ait voulu ou non publier ce disque. Il l'a voulu certainement, mais il avançait si vite à l'époque, passait à de nouvelles expériences si prometteuse, que de sortir ce disque après Ascension ou un autre n'aurait pas eu trop de sens... Et puis, quoi, il lui restait même pas deux à vivre! Sun Ship s'impose désormais comme le fait remarquer Franpi dans son très beau texte comme l'aboutissement d'une musique complètement tellurique et passionnante ! Fred
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S
Pas complètement convaincu par ta comparaison avec les Beatles. Dans ce dernier cas, les musiciens ont eu leur mot à dire deux fois, l'une lors de la création du disque, la seconde lors du remixage pour les survivants... On est très loin de Sun Ship, où Coltrane n'a ni choisit les morceaux, ni leur prise, ni leur ordre, ni leur mixage, ni la (belle) pochette. Tu évoques un choix naturel, mais le simple choix de publier ce disque était il fait ? A mon sens, LA vérité d'un disque est dans le désir de l'artiste.
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