John Coltrane Quartet - Sun Ship Complete Sessions
Je n'ai en général tout sauf une passion folle pour les disques collectors, les imports japonais ou d'autres contrées rêvées. Je n'ai pas un attachement particulier aux boxes commémoratives où aux processions musicales, où la dévotion se mesure à la taille du porte-monnaie.
C'est pourquoi, notamment, je ne suis jamais "tombé" dans les diverses collectes de deniers du culte dans les coffrets annuels de Miles Davis, quand bien même certains, comme celui autour de On The Corner, me faisait de l'oeil. Il semble toujours assez étrange, lorsqu'on est ni chercheur ni exégète, de se pencher sur un work in progress qui aurait déjà été éditorialisé -Le Final Cut-par l'artiste lui même ou par son producteur.
Chaque chose ayant son exception, la récente sortie par Impulse des Complete Sessions de Sun Ship mérite cependant qu'on s'y attache, et ça pas seulement parce que c'est le disque qui a donné son nom à ce blog et qu'il doit être considéré comme l'un des phares inextinguibles de nos musiques. Certes, il y a aussi cette insolente nouveauté esthétique jusque dans la photo de la pochette et ce choix de focus dont je ne me remettrai jamais. Ce disque, c'est de l'écriture avec la lumière, strictement comme la photographie...
Mais ce disque est particulier pour deux raisons primordiales : il ne s'agit que d'un double album au prix raisonnable ; et puis surtout, en tant qu'oeuvre posthume, l'éditorialisation de Sun Ship avait été réalisée par Alice Coltrane et Bob Thiele : cette Complete Session permet de juger de la fidélité apporté au travail du saxophoniste. Enfin, le matériel brut ainsi présenté permet d'appréhender tout le travail nécessaire pour arriver à une telle spontanéité de la part du quartet.
La première prise de "Sun Ship" à ce titre riche s'enseignement. On y apprend que le titre aurait pu s'appeler "Yeh", ce qui est moins évocateur sans doute de la puissance tellurique, du souffle, de la Révolution qui porte ici son double sens Esthétique et Astronomique. On y découvre aussi une longue montée en puissance du ténor, pour arriver à ce qui est sans doute un modèle de rage contenue, dans la quatrième prise. La bonne. La définitive. Disons le, la légitime. Cette impression de lutte infinie contre son propre thème, de choc physique avec la métaphysique de sa musique n'est donc pas immanente, elle est le fruit d'une action collective.
Il y a une tendance à croire la musique de ce quartet cannibalisé par le génie de son leader ; si l'écoute de l'ensemble des disques de la formations devraient suffire à s'en dissuader, le présent double album remet les choses en place, et rappelle le rôle prépondérant des trois autres musiciens dans la fluidité d'une musique qui est sans doute à son apogée en terme de cohésion, de puissance et d'inventivité. Au zénith, le mot est facile, mêm s'il s'agit aussi ici d'un crépuscule.
A ce titre, c'est tout à fait intéressant de voir un peu plus directement comment la musique circulait au sein du classic quartet. On pourrait rester indéfiniment sur le morceau titre, mais écoutons le très lyrique "Amen" et ses deux versions si différentes, la première semblant plus sage, plus retenue... En détaillant, on découvre la différence de jeu de McCoy Tyner et d'Elvin Jones, plus terre-à-terre, moins abstraite dans cette première prise, ce qui ne donne pas l'élan nécessaire à Coltrane pour ce lancer dans cette célèbre tirade. Le jeu en devient plus heurté, plus monochrone, moins imposant.
On passe dans cette Complete Version comme dans un jeu de piste, à retrouver notamment sur "Attaining" le travail de passementerie fait en studio pour retrouver le morceau tel que nous le connaissons depuis toujours.
Cette sortie n'est pas un gadget. C'est sous nos yeux l'occasion de rentrer dans le secret, l'intimité de l'un des orchestres les plus créatif du XXième siècle.
Sun Ship est à ce prix.
Je mentirai en disant que la photo n'a rien à voir. Je m'étais promis d'emmener en Laponie deux disques pour le soleil de minuit : Heliopolis d'Alexandra Grimal et Sun Ship de Coltrane. C'est chose faite. Deux fidèles compagnons...