The SéRieuse Improvised Cartoon Music Quartet - When Bip Bip Sleeps
La musique est une carte infinies où les routes se croisent, se perdent, font des demi-tours ou saignent de grandes lignes droites à travers des forêts en friches. Pour peu qu'on soit un peu curieux et aventureux, on découvre toujours de nouvelles clairières, de nouveaux ponts plus ou moins improvisés et des chemins à flanc de falaises. Mais surtout des voix uniques, étranges, singulières comme celle d'Henri Roger, pianiste et guitariste qui a fait de la musique improvisée son véhicule et de l'insatiable curiosité sa boussole.
Deux raisons pour se lancer à sa découverte promptement.
Si les réseaux sociaux ont facilité l'accès du fureteur à la nouveauté et aux marges, Henri en est certainement l'exemple le plus criant. Musicien depuis 40 ans sur diverses scènes, du rock au jazz, esprit libre et frappeur, c'est sur les internets que l'on découvre le plus facilement sa musique, après avoir discuté avec lui et qu'ils vous aient fait partager son expérience et sa connaissance livresque.
Entre guitare et piano, il n'y a pas à choisir. C'est heureux, Henri n'a pas choisi. On se rapportera à son remarquable solo de piano voyageur, Exurgences, pour s'en convaincre. Mais c'est surtout quand il s'agit de partager la musique avec d'autres improvisateurs que le propos s'enflamme et que les deux instruments se mêlent.
Compagnon de longue date du batteur Bruno Tocanne, que l'on retrouve ici, ils ont enregistré ensemble Remedios La Belle que mon camarade Denis avait brillament chroniqué. Mais Henri Roger a aussi croisé François Cotinaud, Barre Phillips... Il concocte même en ce moment même un trio avec la remarquable et soudée paire rythmique constituée de Benjamin Duboc et Didier Lasserre. Au mitan des prises de risque et des générations avec pour but l'échange et l'instant. L'idée, donc.
Voilà ce qui motive les rencontres sans filet, parmi lesquelles The SéRieuse Improvised Cartoon Music Quartet fait office de coup de maître et de symbole.
A la fois farouchement libertaire et inscrit dans le respect d'une tradition, ce disque vinyl -oui, avec le trou au milieu et le sillon baladeur- où l'on retrouve également la chanteuse Emilie Lesbros et le violoncelliste Eric-Maria Couturier est un hommage iconoclaste au compositeurs Scott Bradley qui s'intéressa à Schoenberg et transposa ses idées dans une musique populaire. Celle des films de Tex Avery en l'occurence.
On peut être surpris de découvrir le violoncelliste de l'Intercontemporain dans un tel projet, mais ce serait oublier qu'on le trouvait dans le le beau disque de Viret, mais qu'on l'a également vu avec Barre Phillips... Et qu'entre les musiques contemporaines et les musiques improvisées, la différence est si ténue qu'elle tient parfois à un souffle ou à un trait de crayon. Il suffit d'écouter "Are You Happy ?" Pour s'en convaincre.
Le principe imaginé par Henri Roger est simple. Après avoir fait écouter six compositions tirée de six dessins animés déjantés où Bip-Bip ne croise le vilain coyote que pour le railler copieusement, il invite ses comparses à se laisser aller dans cet univers plein de rebondissements, d'ACME fumantes ou explosantes et de chausse-trappes multicolores. on peut être surpris, on est vite conquis. Par Emilie Lesbros d'abord qui tonne, gronde, rape, entonne une ritournelle étouffée ou vocalise le fond de sa gorge dans le remarquable "At The Circus" qui est certainement le morceau le plus consistant de When Bip Bip Sleeps.
Si Bip Bip dort, d'ailleurs, et on le pense dans le songe électrique du milieu de l'album, on ne peut pas dire que le coyote danse. Il se débat dans les éboulis et fait exploser toutes ses fusées sous les percussions toujours aussi coloristes de Tocanne et les traits de guitare qui font songer que Zappa est parfois caché derrière un gros caillou pour lancer un "Bouh" impassible, à la Droopy. A découvrir absolument. That's All Folks !
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...