Rémi Charmasson - The Wind Cries Jimi
Rémi Charmasson fait partie des guitaristes qui réhaussent toujours un disque, par son approche qui sait à la fois se servir de la puissance acide de son instrument et de ce goût pour une certaine forme d'harmonie sans frontières stylistiques, à la fois rock quand il le faut et jazz toujours.
Que ce soit avec son vieux complice Tchamitchian (il est l'une des ramification d'Äänet, un album majeur de la décennie passée) ou avec ses propres formations, comme ce Manoeuvres en quintet avec Tchamitchian et Echampard qui se balladait sur les routes américaines, Charmasson apporte toujours un supplément d'espace qui met en valeur ses comparses.
Demandez à la toujours trop rare chanteuse Laure Donnat ce qu'elle en pense, lorsqu'elle entame un "One Rainy Wish" Joplinien sur le nouvel album en quintet du guitariste, The Wind Cries Jimi", consacré à Jimi Hendrix ! Sur la basse électrique anguleuse de Bernard Santacruz, elle transcende littéralement le morceau paru sur le meilleur album d'Hendrix, Axis Bold As Love. Charmasson le cite à plusieurs reprise ; mais n'est-ce pas le plus "jazz" de Jimi ?
Laure Donnat constituera sans doute, pour ceux qui ne suivrait pas sa carrière, l'une des plus enthousiasmante surprise de cet album. Les autres se souviendront de Witches de Guillaume Séguron en 2003, sorti lui aussi chez AJMIséries. Ceux qui ne se souvenaient pas iront écouter : on en revient pas indemne.
A la fois discret et omniprésent, Charmasson dirige en peu de note une approche hendrixienne qui replace le guitariste au coeur de la musique anglo-saxonne de son époque, par petite touche. Il trace sa routen de la Soul suggérée par le "People Get Ready" de Curtis Mayfield, échapée belle diablement cohérente aux morceaux de Jimi jusqu'à la ballade inaugurale portée par le piano voyageur de Perrine Mansuy.
Bien sur, il y a ce "Wait Until Tomorrow" clair et franc qui cherche l'énergie pure, avec son solo tranchant et hendrixien, forcément hendrixien, soutenu par la batterie impeccable de Bruno Bertrand.
Mais si tout hommage à Hendrix peut faire craindre une démonstration musculeuse, le sujet est ici tout autre. Mon camarade Arnaud le dit d'ailleurs très bien dans sa belle chronique pour Citizen Jazz : Il s'agit de replacer une pièce majeure de la musique du XXième siècle dans son contexte, entre rock, jazz et pop (cette citation hallucinogène de "Hey Jude" dans "The Wind Cries Mary"). Non pas comme l'extra-terrestre qu'on présente commodément, mais comme l'un des pionniers du syncrétisme total. Comme récemment avec Le Gros Cube, il ne s'agit pas de surfer sur des reprises bankables.
Rassurons-nous, "Génération Goldman" est loin.
Il s'agit d'habiter une oeuve et de la mettre en cohérence, jusqu'à plonger "Voodoo Child" au plus profond de ses racines, dans une tournerie mandingue remarquable.
On entend beaucoup de fantômes dans ce disque. Ils sont suggérés mais ne sont pas plaqués, comme ce discret hommage à Rotary Connection et Minnie Ripperton dans "Burning Of The Midnight Lamp". Ils constituent une topographie du monde Hendrixien entre carte du tendre et terres à défricher.
Indispensable.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...