Benjamin Duboc - St James Infirmary
Avant toute chose, il est nécessaire de rendre hommage à mon collègue de Canalblog Guy, qui m'a mis sur la piste de cet album solo de Benjamin Duboc.
L'indéfectible comparse de Didier Lasserre, seul dans une église avec sa contrebasse : à lui seul, le programme est alléchant, mais apprendre en prime que c'est pour partie autour d'un thème magique comme St James Infirmary, et les papilles s'afollent...
Pour beaucoup, ce thème du Great Songbook est intimement lié à Armstrong. Pour d'autres, c'est Cab Calloway sous les traits de Koko Le Clown, dans un célèbre vieux cartoon de Betty Boop.
Pour moi, c'est Colette Magny, et c'est définitivement lié à l'enfance. un thème comme une persistance de souvenir, qui s'effiloche mais dont le squelette reste ancré à la mémoire. Une approche qui semble être celle de Benjamin Duboc, dont les pizzicati qui frappent le bois de sa contrebasse résonnent avec lyrisme dans cette belle église Saint Martin de Bignac, prieuré roman aux pierres lourdes. Un thème qui ressemble à Duboc : pénétrant, entier, mystérieux.
Quiconque a déjà vu Duboc sur scène a en mémoire le rapport physique du soliste avec son instrument. Tout dans St James Infirmary évoque l'étreinte : ce thème, évoqué comme autant de giboulées sur les cordes, qui revient cycliquement comme une danse entêtante, ce choc des cordes qui s'entrechoquent, et les longues digressions rêveuses que le souffle du musicien vient rythmer.
Il y a des contrebassistes qui transforment ces moments solitaires en exutoires, en éruptions violentes pleines d'explosions collatérales. Si Duboc est un volcan, il est de ceux qui ronronnent. De ceux qui laissent échapper de temps à autre quelques flux de lave régénératrice pour façonner l'atmosphère.
C'est pour cela qu'il est à la fois étonnant et excitant d'entendre ce musicien s'emparer d'un standard. Etonnant parce que l'on a plus l'habitude de voir un musicien étiqueté (par ceux qui ont besoin d'étiquette, à défaut d'oreille) "musique improvisée" sur ce registre ; excitant parce qu'il affronte ce thème comme il le fait avec toute sa musique, avec une force brute foncièrement terrienne ; une force qui se confirme et se multiplie dans le second morceau, "Saint-Martin". Là, c'est à l'archet qu'il nous emmène dans un défilé de paysages aux reliefs changeants, résolument différent, visitant les aigus, emplissant l'air sans limite, devenant absolument entêtant, jusqu'à la stridence.
Une stridence finale qui laisse méditatif, emplit par le sacré des lieux et par la tristesse toujours présente de l'amour perdu du St James Infirmary. Dans le silence, ensuite, persiste encore quelques reflets de la contrebasse. C'est un bonheur d'en profiter, méditatif.
On ne peut s'empêcher de songer, dans ce beau disque sorti chez Improvising Beings, à ce que Lasserre faisait de la Mémoire. On retrouve ce même sentiment d'un temps qui s'écrit à l'eau forte, à la baguette ou à l'archet. Ces deux là évoluent décidément dans un bel univers.
On va les retrouver ensemble dans les jours qui viennent...