Rodrigo Amado - Wire Quartet
Figure incontournable de la scène portugaise, le saxophoniste Rodrigo Amado fait partie de ces musiciens que l'on aime suivre dans chacun de ses projets. On reconnait immédiatement son jeu fièvreux, anguleux et massif, ici porté par une rythmique massive et virulente.
On connait l'importance notamment dans le Humanization Quartet de Luis Lopes, très électrique et à fleur de peau, ou en trio augmenté avec le Motion Trio où l'on retrouve le tromboniste chicagoan Jeb Bishop, mais aussi le batteur Gabriel Ferrandini.
Ce fidèle parmi les fidèles est d'ailleurs également à l'affiche du Wire Quartet, une formation purement lusitanienne que le label Clean Feed présente aujourd'hui, quand bien même cet album fut capté en 2011, soit peu de temps avant le premier album du Motion Trio. Ce retour aux sources chez Clean Feed pour Amado est surtout l'occasion de nous rappeler que le Portugal est l'une des plus belles scène Free d'Europe. Et ce quartet en est une belle vitrine.
Mais aussi que le catalogue de Clean Feed est absolument excitant.
Le Wire Quartet est une musique de blocs antagonistes qui cherchent par tous les moyens le contact. Aux extrémités, il y a le ténor d'Amado et le picking furieux du guitariste Manuel Mota. Au centre, il y a le batteur et le bassiste qui tentent de déblayer la profusion d'énergie et de la maîtriser jusqu'à ce que devienne plus douce, presque empreinte de quiétude.
Ainsi, "Surrender" est un bel exemple de rage lyrique qui se transforme peu à peu en douceur flegmatique, en concorde progressive qui ordonne le chaos.
Ce n'est pas la musique du quartet qui est frappé d'ataraxie, c'est un lâcher-prise progressif sous les coups de boutoirs conjugués d'un saxophone acerbe et d'une guitare convulsée. C'est une fièvre qui couve et dont on se remet pas, qui se laisse aller à la langueur pour mieux repartir vers des états plus impétueux à la fin de "To The Music". L'album l'explicite d'ailleurs très bien : les morceau sont un jeu de piste qui donne un message.
"Abandon Yourself, Surrender To The Music".
C'est tout ce qui se joue ici, dès la prise de parole liminaire, très coltranienne, de Rodrigo Amado. Elle va se faire bousculer par la montée en puissance inéluctable de la contrebasse. La guitare de Mota, disciple acharné de Derek Bailey est d'abord caressante. Elle va devenir de plus en plus acide, dure, et presque se concentrer dans un déluge noise que ne renierait pas Otomo Yoshihide ; le guitariste est tout au long de l'album en tout point impressionnant.
Il est le contrepoint parfait du ténor. Amado est plein, franc, massif. Mota est versatile, instable et voltigeur. Dans ce mouvement permanent, diablement Free, l'auditeur se laisse nécessairement porter par un flot qui peut essouffler ou ballotter, mais qui ne fait jamais totalement perdre pied, tant la base rythmique est insubmersible.
On se souvient que dans le Motion Trio, le violoncelle de Miguel Mira apportait une couleur particulière, se chargeant d'une grande part de musicalité. Ici, il n'en est rien : la contrebasse d'Hernani Faustino est sèche, contondante, et se marie à merveille avec le jeu nerveux du batteur, avec qui il partage par ailleurs le Red Trio.
Dans le long morceau "Abandon Yourself", la base rythmique guide le mouvement, passe de la rage à la quiétude comme on trace le lit artificiel d'un cours d'eau avant de bâtir un barrage. C'est ce qui donne à la musique du Wire Quartet cet aspect à la fois rugueux et sans apprêt et cette construction méticuleuse et millimétrée. Il y a ainsi un moment suspendu d'une rare intensité au coeur ce premier morceau, lorsque Ferrandini frappe ses cymbales à la manière d'un gong Shintô, transformant la tempête brusque en une brise chaleureuse qui fait voleter la poussière, entre l'archet de Faustino et le souffle profond d'Amado.
Le vent ne gronde plus, ne bouscule plus mais ne s'éteind pas et se tient près ; ce qui le rendrait presque plus menaçant de se retrouver ainsi en tapinois. Une puissance absolue mais sous contrôle qui peut frapper à tout moment, avec une force multipliée.
L'uppercut est terrible, mais comme bien souvent, on en redemande.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...