Chasseur - Live au Comptoir
Le disque est un totem, pour parler comme un dirigeant de gauche qui s'apprète à faire un coup pendable à ses électeurs. Le disque est un objet de valeur : il y a son odeur, ses couleurs, la lenteur pour ouvrir le plastique où à l'inverse le geste preste du chroniqueur musical qui sait en un dixième de seconde ouvrir l'emballage frêle du disque promotionnel avec la clé de sa boîte au lettre, un ongle, où une pièce de deux centimes.
Le disque est un totem, parce qu'au delà du stade anal qui consiste à aimer posséder ledit disque, il y a la qualité du son bien supérieur au MP3 ; on sait depuis longtemps l'argument invalide. Non que le MP3 ne soit pas tout pourri par essence, mais surtout que la plupart des labels "numériques" proposent leurs sorties dans des formats de bien meilleure qualité. Ainsi, il est absolument incohérent de ne pas s'intéresser aux productions des labels virtuels si leurs productions sont bonnes.
De la musique improvisée au jazz en passant par la musique classique, il y a de plus en plus d'aventures passionnantes. Parmi celles-ci, NoMadMusic semble tenir la corde.
Le site tout d'abord, qui mélange webzine de qualité et label qui offre un catalogue de musique classique tout à fait intéressant, ouvert par ailleurs à des groupes qu'on aime par ailleurs, comme Rhizotomme.
On conseilllera par exemple le quatuor à cordes Zaïde, dont la lecture des deux premiers quatuor de Janáček est réjouissante, tout comme l'est cet enregistrement du choeur Luce Del Canto consacré à la musique française de l'orée du XXème Siècle. Captation sensible et qualitativement irréprochable, présence offensive sur les canaux modernes de la diffusion de la musique, NoMadMusic a compris comment se bâtir en milieu hostile !
Par ailleurs, le site distribue les disques -totémiques, il va de soi- de Discobole Records, ce qui est là aussi une preuve de très bon goût. Le label du contrebassiste Théo Girard qu'on avait pu découvrir notamment dans Le Bruit du [sign]. C'est lui qu'on retrouve avec ce disque Chasseur en compagnie de son ancien comparse du [sign] le batteur Sébastien Brun.
Enregistré au Comptoir, à Fontenay sous bois, cette plongée au cœur de la musique mandingue avec le grand maître du Donso N'goni Adama Coulibaly est au départ un duo entre le contrebassiste et l'ancien protégé de Sibiri Samaké et de Salif Keita. Une découverte à deux des polyrythmies et des jeux de timbres entre ces instruments dont les cordes portent des traditions différentes.
On retrouvera cet noyau dual dans le magnifique "Djaoula" où la tournerie cristalline du Donso N'goni s'amalgame à merveille avec l'archet de la contrebasse... Et puis tout sera emporté par un groove ardent par la mitraille de Seb Brun, soutenu par les claviers de Macha Gharibian, qui mêle parfois sa voix profonde à celle du griot Coulibaly.
Quiconque a déjà entendu Coulibaly dans son disque fondateur Baba ou avec Mamani Keita ne sera pas étonner de retrouver que celui qui tient son luth comme une guitare se retrouve à converser avec ces musiciens là.
Chasseur est avant tout un disque de voyageur sans bagages au cœur des musiques traditionnelles pour le simple bonheur du rythme. On le constate dans l'inaugural « Bani », lorsque Nicolas Baudet vient se joindre au quartet pour poser sur une construction rythmique complexe et versatile la douce caresse de sa clarinette basse.
La musique de Chasseur est de tradition foncièrement mandingue, mais elle ne ce limite pas à ces codes, tout comme Girard est aussi à l'aise avec la musique tzigane dans Bratsch ou l'Esketa éthiopienne au sein du Bruit du [Sign]. Ici, l'électronique fiévreuse bien que discrète de Brun ôte tout formalisme sans pour autant transgresser. Même dans « Elephant », où la base rythmique retrouve son biotope jazz poussé par l'orgue de Gharibian. Tout est tendu vers le rythme et son constant façonnage, mais lorsque Coulibaly introduit ses instruments maliens, la musique s'instille dans les timbres de chaque instrument pour en modifier la couleur. Ce n'est pas la langueur poétique de l'échange entre le piano traînant de Guaribian qui nous contredira.
A découvrir d'urgence, comme le label, plus globalement.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...